
Les tests de conformité Divergence
Chères auditeurices,
Bonjour et bienvenue dans Mismatch, l’émission dédiée à l’accessibilité des jeux vidéo. Elle est destinée aux professionnels, aux néophytes du média mais aussi aux joueurs et joueuses. Je suis Damien Fargeout, game designer de formation, consultant en accessibilité de jeux vidéo et président de l’association Dear Valid People. Chaque semaine, nous mettrons en lumière, ensemble, chaque pièce du puzzle formant ce jeune domaine qu’est l’accessibilité de jeu vidéo. Étant moi-même handicapé, ma formation mêlée à mon expérience de vie m’ont amené à me spécialiser sur le sujet.
Dans la continuité du précédent épisode, nous continuons à parler des tests d’accessibilité mais cette fois-ci, dans un cadre légal. Nous pourrions les appeler “tests de conformité”. L’accessibilité est un domaine encore jeune mais qui tend à grandir au travers des lois. Accessibilité web, du bâti, du jeu vidéo, l’avancement n’est pas le même entre ces secteurs et leur localisation géographique. En France, un principe de normes a émergé concernant le bâti et le web mais ne permet pas de couvrir la complexité du handicap. Ceux soumis à ces lois sont poussés à répondre à des normes plutôt qu’à des besoins utilisateurs. Dans la théorie, c’est bien. Dans la pratique, les normes et les besoins peuvent être très éloignés les uns des autres. Concernant le jeu vidéo, en France, à l’heure actuelle, aucune obligation légale n’existe en termes d’accessibilité. En revanche, outre-atlantique, il existe le CVAA : 21st Communication and Video Accessibility Act.
Il s’agit d’une réglementation américaine à propos de produits numériques vendus sur leur sol. Créée en 2010 pendant la présidence de Barack Obama, elle a commencé à prendre effet une dizaine d’années plus tard. Elle dit que tout produit numérique vendu sur le sol américain doit posséder des critères d’accessibilité, sous peine d’être dénoncé par un particulier et d’être soumis à une amende. Sur le papier, c’est une avancée et un réel argument pour travailler l’accessibilité. Le marché américain représente une large part du marché vidéoludique global. Il est rare pour un studio de ne pas le prendre en compte. De mon point de vue, je trouve ça dommage de devoir avancer un tel raisonnement négativiste sur l’accessibilité. Si vous ne le faites pas, vous allez devoir payer. En France, nous avons la même logique à propos de l’obligation de quotas de travailleurs handicapés, dans les entreprises de plus de 20 salarié·e·s. Et la majorité préfère payer l’amende, d’ailleurs.
De plus, l’impact du CVAA est limité puisque se résume à deux catégories : la communication et la programmation vidéo. Dans un jeu vidéo, la communication se résume à la partie multijoueur avec l’utilisation de fonctionnalités comme la narration ou la reconnaissance vocale. Les jeux exclusivement solos sont de plus en plus rares mais sont donc exemptés de cette catégorie. L’autre catégorie concerne à peu près l’ensemble des titres de jeu vidéo mais dans un périmètre très restreint. Il s’agit de rendre accessible les éléments vidéo au sein d’un jeu vidéo, donc pas le jeu vidéo en lui-même. Il faut mettre des alternatives comme les sous-titres, les captions ou encore l’audiodescription. Cette réglementation s’applique à l’ensemble des produits numériques. Elle ne couvre donc qu’une petite partie de ce qui constitue un jeu vidéo, sans impact sur son élément le plus distinctif : le gameplay. Pour une note positive, un particulier a la possibilité de signaler un produit inaccessible via le site de la commission. Encore faut-il qu’il soit accessible… En France, l’accessibilité web a droit à de la réglementation ainsi qu’une avancée en 2025. Les sites à fort trafic doivent réaliser un audit et le résultat doit être visible, auprès des mentions légales généralement.
Pour finir, je soulignerai un point noir à propos de toutes ces notions législatives. En plus d’ajouter une lourdeur administrative aux studios, il est toujours possible de déroger à ces obligations si l’argumentation est solide. Cette logique de l’excuse se voit aussi sur l’accessibilité du bâti en France où il est possible de ne pas être accessible si la structure ne le permet pas ou pour respecter un patrimoine historique. Cependant, c’est aussi maintenir une exclusion des personnes handicapées dans des activités sociales. Il me semble qu’une obligation à une alternative, dans l’usage, soit nécessaire pour une réelle avancée dans l’accessibilité.
Pour conclure, la législation peut pousser à l’accessibilité mais elle n’offre qu’un cadre trop tolérant pour répondre aux besoins des joueurs handicapé·e·s. L’intelligence collective et une sincère envie de rendre le jeu vidéo accessible à tous et toutes peut amener à une réponse efficiente.
Dans le prochain épisode, nous allons explorer les idées reçues sur l’accessibilité des jeux vidéo. Pour rester sur une question de qualité de produit, nous commencerons par la plus célèbre : “l’accessibilité dégrade le design”.
Vous venez d’écouter Mismatch, une émission créée par un concerné pour des concernées.
Diffusion vendredi 7 mars 2025 – 10h20
D.Fargeout