Strange Fruit (Billie Holliday, 1939) Divergence
Cet été, le 12 août 2017 exactement, à Charlottesville aux Etats-Unis, se déroule une manifestation d’extrême-droite. Un jeune sympathisant néo-nazi, James Field, fonce en voiture dans une foule de contre-manifestants, tuant Heather Heyer et blessant 19 autres personnes. Le samedi qui a suivi, des dizaines de militants de l’alt right américaine ont défilé, torches à la main. Ces vieux relents de Ku Klux Klan m’ont rappelé cette chanson, Strange Fruit, chantée en son temps par Billie Holliday.n
Strange Fruit n’est pas un cri, c’est un râle, une complainte douloureuse venant d’outre-tombe. C’est une chanson qui est née de la mort, de la souffrance et de l’injustice. Dans un sens, elle est née le 7 août 1930 à Marion dans l’Indiana. Accusés d’avoir volé et assassiné un ouvrier blanc et d’avoir violé sa petite amie, Thomas Shipp et Abram Smith, deux Afro-Américains, sont arrêtés et transportés en prison. La population de la ville se regroupe alors devant l’établissement pénitentiaire, y pénétrant avant de procéder au lynchage des deux hommes. La foule les a alors pendus à un arbre. Cette scène fut immortalisée en photographie par Lawrence Beitler, un photographe local, non pas pour dénoncer mais pour glorifier.n
Cette image des deux adolescents pendus se vendit à des milliers de copies, marquant de nombreuses personnes. Ainsi, en 1937, Abel Meeropol, enseignant juif d’origine russe, également poète et auteur-compositeur, écrivit le poème Strange Fruit en réaction à cette tragédie. Meeropol, membre du Parti communiste américain, militant, profondément ébranlé par la photographie de Beitler. La chanson évoque un fruit étrange qui pend à un arbre :n
« Les arbres du Sud portent un fruit étrange, du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines, des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud… Un fruit étrange suspendu aux peupliers…n
Scène pastorale du vaillant Sud, les yeux révulsés et la bouche déformée. Le parfum des magnolias doux et printanier puis l’odeur soudaine de la chair qui brûle…n
Voici un fruit que les corbeaux picorent, que la pluie fait pousser, que le vent assèche, que le soleil fait mûrir, que l’arbre fait tomber… Voici une bien étrange et amère récolte. »n
Ces fruits sont les corps des Noirs lynchés puis pendus.n
Nous étions alors dans les années 30 et le racisme était encore profondément ancré dans le pays. Entre 1882 et 1968, ce sont au moins 5 000 personnes qui ont été tuées de la sorte, en majorité dans les États du Sud. Le poème de Meeropol est d’une glaçante beauté. La violence de ces actes et la façon dont la société les tolère alors est insoutenable. Personne ne se cache, d’ailleurs… On a du mal à y croire… Et lorsque Billie Holliday se met à chanter, c’est un frisson qui nous parcourt. Habituée de standards jazz et de chansons d’amour, la chanteuse hésite mais finit par l’interpréter, un soir de l’année 1939, au Café Society, dans un silence lourd et émouvant. A cette époque, Columbia Records refuse de l’enregistrer. Certainement trop subversive… n
Nous sommes aujourd’hui en 2017. Aux États-Unis, selon une étude, les différents groupes d’extrême-droite sont responsables de 73 % des attaques terroristes sur le territoire depuis le 11 septembre et sont celles qui ont fait le plus de morts.nnnnnDiffusion vendredi 17 novembre 2017 – 10h40 / 17h40nnAnimation et réalisation C.Perreirann »