Station debout Divergence
Jeudi 26 janvier, notre Président Emmanuel Macron a inauguré en grande pompe “Station debout”, un centre de rééducation à la pointe de la technologie en plein cœur de Paris. Station Debout est à la fois un centre de rééducation et un centre de recherche qui a pour mission de promouvoir et développer la recherche scientifique pour les patients handicapés présentant un déficit de la marche. Autrement dit, permettre aux personnes en fauteuil roulant de mettre toutes les chances de leur côté pour remarcher.
Le centre permet donc à ses patients de se réadapter à la “station debout” en travaillant l’équilibre, le renforcement musculaire, la souplesse et surtout l’adaptation à l’effort, à l’aide d’appareils dernière génération. Mais la star du jour c’était l’exosquelette Atalante, une énorme machine futuriste conçue par Wandercraft dont le coût unitaire avoisine les 180 000€. Un appareil aux allures de Robocop permettant d’envelopper le corps d’une personne handicapée pour lui permettre de se tenir à la verticale.
C’est un jeune soldat de 22 ans, paraplégique suite à l’explosion d’une mine au Mali, qui s’est chargé de la démonstration. Dans la foulée, Emmanuel Macron a promis d’équiper chaque département français de 2 exosquelettes grâce à une enveloppe de 10 millions d’euros. On ne sait pas sur quel budget seront prélevés ces 10 millions, étant donné que le centre en lui-même est financé grâce aux dons et au mécénat, mais peu importe n’est-ce pas, en Macronie il y a toujours de l’argent magique pour arroser nos belles entreprises françaises.
Pourquoi tant de cynisme me direz-vous, et bien figurez-vous que pendant l’inauguration de Station debout, Jean-Christophe Combe, Ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, a tweeté : « Se mettre debout pour être à hauteur d’Homme ». Une phrase entre guillemets, probablement tirée du discours prononcé par Emmanuel Macron. La publication comportait également une photo, bien entendu sans description alternative, à croire que ces gens-là ne prennent même pas la peine de s’intéresser à l’accessibilité numérique.
Autant vous dire que les personnes handicapées n’ont pas vraiment apprécié. « Se mettre debout pour être à hauteur d’Homme » avec un grand H. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que les personnes assises dans leur fauteuil ne peuvent pas prétendre à cette humanité ? Qu’elles doivent se contenter du peu de respect qu’on daigne leur accorder ? Car c’est bien de ça dont il s’agit, de considérer les corps handicapés comme inférieurs aux valides. Cette citation condense à elle seule la vision médicale et validiste du handicap qui a été érigée en norme dans ce pays.
La marche ne fait pas de nous des êtres humains à part entière, pas plus que la parole ou l’ouïe. Nos capacités physiques ou psychiques ne devraient pas conditionner notre valeur intrinsèque. Nos vies ont autant de valeur que celles des personnes valides.
Et surtout, je sais que ça peut paraître incroyable, mais nous, personnes handicapées, n’attendons pas forcément d’être guéries ou réparées à tout prix. Car cette obsession de la médecine à vouloir réparer les corps se fait souvent au détriment du bien-être des personnes concernées.
J’aimerais vous lire à ce sujet un petit extrait du livre de Charlotte Puiseux, “De chair et de fer”, qui parle de son séjour à l’hôpital de Garches lorsqu’elle était enfant. Un hôpital réputé car c’était l’un des seuls à l’époque à prendre en charge les enfants atteints de myopathie.
“J’ai expérimenté tout un tas d’appareillages : corset de jour, corset de nuit, attelles, minerve, chaussures orthopédiques… J’étais revêtue d’une véritable armure de la tête aux pieds ! J’ai enduré des heures de torture infligées en vue de redresser ce corps qui devenait chaque année plus tordu, plus rétracté, plus déformé, plus handicapé. Il fallait à tout prix éviter le flexum du genou, le pied ou le poignet qui tourne, le bassin qui s’incline et, par dessus tout, la colonne qui se tord. Là était l’enjeu principal : préserver une belle cage thoracique afin de continuer à respirer. […] S’il est indispensable de pouvoir respirer pour vivre, est-il nécessaire d’avoir les pieds droits et les jambes aussi souples qu’une danseuse ? Faut-il absolument subir chaque semaine des heures de kiné destinées à permettre de poser ses genoux à plat, tourner ses poignets ou fermer les doigts de sa main – des gestes que vous ne pouvez, de toute façon, pas effectuer seule ? “C’est pour ton confort de vie !” “C’est pour que tu n’aies pas de douleurs !” me répétait-on à l’envi.
Mais je n’avais pas de douleurs, et je n’en ai toujours pas. En revanche, j’en ai eu lorsque l’on m’attachait au cadre de moulage et qu’on écartelait mon corps. Qu’on tirait sur chaque extrémité des bandes qui m’enroulaient afin de me rendre plus droite, toujours plus droite, dans la lignée des corps parfaits, des corps valides.”
La violence de cet extrait résume très bien la manière dont on traite les corps handicapés. Comme si le corps valide était forcément l’objectif à atteindre. Et la marche est ainsi souvent le symbole de cette “normalité”, en opposition au déplacement en fauteuil roulant, jugé anormal et quelque part avilissant.
Mais la majorité des personnes handicapées ne réclament pas des exosquelettes futuristes, elles veulent des bâtiments et trottoirs accessibles pour se déplacer en sécurité, des aides financières et humaines pour vivre dignement, et de l’aide pour les hôpitaux publics car nous méritons d’être soignés correctement partout.
La recherche scientifique et médicale est bien entendue essentielle. Elle nous apporte chaque jour des petites et grandes révolutions qui améliorent notre qualité de vie. Mais on aimerait vraiment du budget pour rendre notre environnement accessible au plus grand nombre, plutôt que des robots ultra onéreux censés nous rendre plus “humains”.
C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 1 février 2023 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon