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Société

Sororité

today27/02/2024 66 1

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    Sororité Divergence


“Ça fait maintenant trente ans que le silence est mon moteur. J’imagine pourtant l’incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble, faite de vérité. Ça ne ferait pas mal, je vous le promets. Juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille.”

Avec ses mots et son courage, Judith Godrèche est venue ouvrir en grand la boîte de pandore du cinéma français lors de la dernière cérémonie des Césars. Ça bouillonnait déjà bien fort depuis des mois avec l’affaire Depardieu, notre monstre sacré devenu monstre ordinaire. Mais jusque-là, Depardieu, Besson, Polanski et tous les autres bénéficiaient encore de notre indulgence collective. Il y a tout juste quatre ans, nous n’étions pas nombreuses à nous émouvoir du César accordé à Polanski. Et la foule est restée bien silencieuse lorsque qu’Adèle Haenel, Céline Sciamma et quelques autres ont quitté la salle en signe de protestation. Depuis toujours, la grande famille du cinéma serre les rangs autour de ses prédateurs.

Judith Godrèche avait seulement 14 ans lorsqu’elle a rencontré le réalisateur Benoît Jacquot. Il en avait 39. Ils débutent alors une relation de “couple” qui durera 6 ans. Pour se protéger elle-même, Judith s’invente une grande histoire d’amour. Mais c’est une histoire d’emprise et de prédation.

“Elle semblait tellement mûre”, “elle faisait plus que son âge”. Ce sont les arguments qu’utilisent les prédateurs sexuels pour justifier leurs actes. Non, on n’est pas mûre à 14 ans, on sort tout juste de l’enfance. On ne rêve pas d’assouvir les fantasmes d’un vieux quadra. A peine un an plus tard, à 15 ans, elle subit également les assauts sexuels de Jacques Doillon sur un autre plateau de tournage. Dans le sillage de ces révélations, c’est une autre actrice, Isild Le Besco, qui a pris la parole contre Benoît Jacquot et Jacques Doillon. Le premier aurait entretenu avec elle des relations sexuelles houleuses alors qu’elle avait tout juste 16 ans. Elle raconte “une emprise destructrice” et des “violences physiques”. Le second lui aurait refusé un rôle après qu’elle ait refusé ses avances.

Comme toujours, des voix anonymes s’élèvent pour soutenir les auteurs et remettre en cause la parole des victimes. Avec des arguments de suspicion classiques : “pourquoi réagir maintenant, des années après les faits ?” Comme si il existait un moment parfait pour dénoncer, alors qu’on sait bien que, 3 jours ou 30 ans après, on fait face aux mêmes barrières et au même déni.

Il en va d’ailleurs souvent ainsi dans les affaires de violences sexuelles médiatisées : PPDA, Gérard Depardieu, plus récemment Gérard Miller, les victimes mettent des années à sortir du silence. Il faut concevoir que, face à un homme célèbre, brillant, influent, plus âgé, il existe automatiquement une relation de domination, souvent doublée d’une véritable emprise psychologique de l’agresseur sur sa victime. On n’est pas sur un pied d’égalité. Et cette emprise, il faut du temps pour s’en défaire. Pour comprendre qu’on a été manipulées. Pour accepter son statut de victime.

Et puis il ne faut pas négliger le dangereux entre-soi de ces milieux artistiques et intellectuels. Parler, c’est risquer d’être blacklistée, de perdre sa place, de retourner à l’anonymat. Les violeurs le savent parfaitement, ils usent et abusent de leur ascendant, de leur pouvoir, sur des jeunes filles et jeunes femmes dont ils peuvent briser la carrière en quelques mots.

Elles ont beaucoup de courage, toutes ces victimes, d’oser prendre la parole. Elles savent qu’elles vont rencontrer bien plus de freins que de soutiens. Qu’elles n’obtiendront probablement jamais justice. Mais elles parlent pour toutes les autres. Parce que les affaires qu’on médiatise, celles qui arrivent jusqu’aux tribunaux, c’est juste la pointe de l’iceberg des violences sexuelles. Pour une qui parle, combien restent dans l’ombre ?

Parfois, il suffit qu’une première voix s’élève contre un prédateur connu pour donner la force aux autres victimes de parler. Regardez PPDA, Florence Porcel est montée seule au créneau, et derrière elle une vingtaine d’autres femmes ont porté plainte. En tout, il y aurait près de 90 victimes. La première à parler est souvent l’arbre qui cache la forêt.

Le mouvement #MeToo, la libération de la parole, c’est avant tout un mouvement de sororité. On ne dénonce pas pour soi-même, parce qu’on n’a pas grand chose à gagner et tout à perdre. On ne dénonce pas pour guérir, parce que bien souvent on s’est construit avec ça et malgré ça. Non, on dénonce pour les autres. Pour ouvrir le chemin. Pour que la honte change de camp.

Et elle fait du bien cette sororité. Toutes ces voix qui s’élèvent, ce sont mes sœurs. Elles me donnent le courage de continuer à parler de violences sexuelles, de continuer à lutter.

Je ne vous cache pas que certaines chroniques sont plus dures à écrire que d’autres. Il y a une fatigue militante lorsqu’on aborde encore et encore les mêmes violences. Il y a la colère aussi, de voir que rien ne change ou si peu. Chaque année, ce sont près de 100 000 femmes qui sont victimes de viol, et 160 000 enfants. Et malgré tout il y a de la joie parfois, à se sentir proches les unes des autres, à se sentir vivantes et soudées dans nos vécus ébréchés, à crier ensemble nos colères.

Je voudrais terminer avec ces mots de Judith Godrèche : “Ma bouche tremblante mais qui sourit aussi, c’est vous, mes sœurs inconnues. Après tout, moi aussi je suis une foule. Une foule qui vous regarde dans les yeux ce soir.”

Puissions-nous continuer à regarder dans les yeux les victimes de violences sexuelles, quel que soit leur âge, leur couleur de peau ou leur statut social. Puissions-nous les écouter et les soutenir, car elles méritent toute notre attention.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. À la semaine prochaine !

 

Diffusion mercredi 28 février 2024 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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