Bonjour et bienvenue dans “Viens te faire dévalider”, la chronique qui décortique les préjugés et l’actualité autour du genre et du handicap.
La journaliste Salomé Saqué a récemment posté un florilège des insultes et menaces qu’elle reçoit quotidiennement sous ses publications. Visiblement en 2024 c’est toujours compliqué d’être une femme, et de s’exprimer publiquement, surtout quand on aborde des sujets de société comme les inégalités sociales, l’écologie ou encore les droits des femmes et minorités.
Comme elle le fait justement remarquer, être une femme et exister sur les réseaux sociaux, c’est subir 27 fois plus de cyber harcèlement qu’un homme selon les chiffres de l’ONU. Et lorsque les victimes se plaignent, elles subissent en plus du victim blaming, c’est à dire qu’on va inverser la culpabilité, et estimer qu’elles sont en partie responsables des violences qu’elles subissent, puisqu’elles ont choisi de s’exposer en ligne.
Il faut donc rappeler qu’on n’est jamais responsable des violences qu’on subit. Que faire des publications ou des vidéos sur internet n’est pas une invitation à critiquer ouvertement notre physique, ou à nous insulter, tout comme le fait de porter une robe dans la rue n’est pas une invitation à la drague. Et que le cyber harcèlement n’a de “virtuel” que son nom. Ce sont des violences bien réelles, qui par leur aspect répétitif, peuvent toucher durement notre santé physique et mentale, conduire à une dégradation de l’estime de soi, à différents troubles psychiatrique comme l’anxiété et la dépression, et même pousser au suicide.
Et elles sont nombreuses les personnalités politiques ou publiques à être régulièrement victime de cyber harcèlement : Sandrine Rousseau, la journaliste Rokhaya Diallo, la militante Daria Marx, ou encore la DJ Barbara Butch qui a reçu une vague de haine particulièrement violente après avoir participé à la cérémonie d’ouverture des derniers Jeux Olympiques. Elle en a témoigné dans les médias : “Je refuse que cette haine soit normalisée. C’est une haine qui se propage partout, dans tous les milieux, dans tous les réseaux. En fait, ce n’est pas parce qu’on est une personnalité publique qu’on doit subir.”
Si la plupart des actions de harcèlement en ligne sont le fait de l’accumulation de commentaires négatifs, sans coordination particulière, il est de plus en plus fréquent d’avoir affaire à du harcèlement organisé via des groupes en ligne. On appelle ça des “raids”, et ils peuvent avoir une force de frappe dévastatrice, donnant lieu à une vague de messages malveillants, de quelques dizaines à quelques milliers en seulement quelques heures.
C’est un peu ce qu’a vécu l’entrepreneuse Nina Ramen en 2023 en organisant son défi “Ramen ta fraise” sur LinkedIn, une initiative justement destinée à encourager les femmes à s’exprimer sur les réseaux sociaux. 40 personnes se sont organisées sur What’s App pour parodier et humilier son challenge, avec un impact important sur sa santé mentale. Depuis, ce sont ses collaboratrices qui organisent le challenge à sa place.
Mais tout le monde n’a pas la possibilité de pouvoir déléguer sa communication ou faire une pause loin des réseaux pour tenter d’échapper à ces violences. Pour beaucoup, la visibilité sur les réseaux est un outil professionnel, et l’abandon de ces espaces peut être un frein à la carrière. Je pense par exemple à l’actrice Kelly Marie Tran, qui a joué dans la saga Star Wars, et a quitté les réseaux suite à une vague de haine sexiste et raciste.
Les femmes ne sont pas les seules victimes de violences en ligne, mais le cyber harcèlement est devenu un outil particulièrement efficace pour attaquer les femmes et les réduire au silence. Que l’on menace de diffuser des contenus intimes, qu’on pratique du slut shaming, qui est le fait de stigmatiser les comportements jugés trop provocants et sexuels, ou qu’on rabaisse systématiquement les femmes en les ramenant à leur physique, la dynamique est la même.
La YouTubeuse Marie Lopez, connue sous le pseudonyme EnjoyPhoenix, a témoigné de l’impact dévastateur de ces remarques sur sa santé mentale. Pendant des années, les critiques incessantes sur son poids et son apparence ont contribué à lui faire développer des troubles du comportement alimentaire. Ces mécanismes d’humiliation et de contrôle participent à faire taire les femmes sur des espaces où elles peinent déjà à exister pleinement.
C’est une forme de violence qui concerne particulièrement les jeunes : près de 60 % des filles de 15 à 25 ans ont déjà été victimes de harcèlement ou d’abus sur les réseaux sociaux. Et comme toutes les violences, elles touchent d’avantage les personnes au croisement de différentes formes de discriminations : les femmes et personnes racisées, voilées, queer, grosses, handicapées, pauvres, etc.
Florence Hainaut et Myriam Leroy ont réalisé un documentaire sur le sujet en 2021 : « notre film n’est pas un film sur le cyberharcèlement, c’est un film sur la misogynie et Internet est le moyen de propager cette misogynie.” Les réseaux sociaux n’ont pas inventé le sexisme. Mais ils lui ont donné une force de frappe supplémentaire.
Pour cette raison, j’évite autant que possible de critiquer d’autres femmes en ligne, même lorsqu’elles sont très éloignées de mes valeurs. J’estime qu’elles subissent déjà suffisamment de haine.
C’était Béatrice, des Dévalideuses pour Divergence FM. A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 4 décembre 2024 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon