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Société

Le sport est politique

today06/12/2022 4

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    Le sport est politique Divergence


Dans quelques jours se termine la Coupe du monde de foot au Qatar, l’occasion de revenir rapidement sur un événement sportif des plus polémiques.

De Virginie Despentes à Jean-Luc Mélenchon en passant par l’archevêque de Cologne, de nombreuses personnalités ont appelé au boycott de l’événement. Beaucoup de grandes villes comme Paris, Lyon, Rennes ou Bordeaux ont également annoncé qu’elles ne transmettraient pas les matchs sur écran géant, même si les bleus arrivaient en finale. Personnellement, ne suivant ni le foot ni le sport en général, il serait parfaitement hypocrite de dire que j’ai boycotté une compétition que je n’aurais de toute façon pas regardé.

Les raisons de cette polémique, vous les connaissez sûrement. Pour commencer, au moins 6500 ouvriers originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts sur les chantiers, un chiffre probablement sous-estimé. Tout ça pour construire des infrastructures à usage unique, comme ces magnifiques stades ouverts climatisés qui ont beaucoup fait parler d’eux, au point de forcer la Fifa à déplacer la compétition à l’automne pour bénéficier de températures plus clémentes. Le Qatar s’est quand même engagé à atteindre la “neutralité carbone”, un foutage de gueule complet quand on sait que des avions ont été affrétés toutes les 10 minutes dans le pays pour acheminer les supporters vers les capitales régionales, et ce 24h sur 24 durant toute la compétition.

Dernier scandale et non des moindres, le Qatar a été pointé du doigt pour ses positions LGBT-phobes. Là-bas, les personnes LGBT+ sont régulièrement discriminées et violentées, et les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont même punies d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. Pour manifester leur soutien à la communauté, plusieurs pays avaient l’intention de faire porter à leur équipe un brassard arc-en-ciel “One Love”, mais ont finalement abandonné l’idée face aux pressions exercées par la Fifa, qui est allée jusqu’à menacer les joueurs de sanctions.

Atteintes aux droits humains, désastre écologique, corruption, musèlement de la presse, cette compétition a été à juste titre surnommée le “Mondial de la honte”. Pourtant, à 3 jours du lancement, notre cher Président Emmanuel Macron martelait encore qu’il ne fallait surtout pas “politiser le sport”.

Alors c’est drôle quand même, quand il s’agit de légitimer l’intérêt des grandes rencontres sportives, ils sont tous là à nous parler des valeurs du sport, d’égalité, d’inclusion, et de respect. Les mondiaux et autres jeux olympiques seraient un vecteur essentiel de solidarité entre les peuples, une manière de dépasser les clivages politiques. A les écouter on serait pas loin de leur décerner le prix nobel de la paix. Mais par contre, quand on critique publiquement un événement sportif sur l’aspect politique, alors là non pardon, ce n’est QUE du sport ! Circulez, y a rien à voir.

Le sport EST politique. C’est une réalité. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est le président du Comité international olympique en 1975 : « Nul doute que les compétitions sportives, et en particulier les Jeux Olympiques, reflètent la réalité du monde et constituent un microcosme des relations internationales. » Comme l’explique très bien Alfred Wahl, professeur à l’université de Metz, “les compétitions vont reproduire symboliquement les rivalités entre les nations, ou encore internes à ces dernières ; elles ne sont qu’« euphémisation » d’affrontements plus violents par le biais des règlements.”

Les athlètes eux-mêmes sont les premiers à exprimer leurs convictions au travers de gestes de résistances symboliques, sur le terrain ou en dehors. Rappelez-vous Mohamed Ali, qui s’engagea contre la ségrégation raciale, et refusa de partir combattre au Viet-Nam en 1964. Kathrine Switzer, qui fut bousculée lorsqu’elle voulu courir le marathon de Boston, parce qu’elle était la première femme à le faire. Tommie Smith et John Carlos aux JO de 1968, qui levèrent le poing sur le podium en référence au mouvement Black Power et à Malcom X.

Plus récemment, de nombreux sportifs comme Michael Jordan ont posé un genou à terre pour dénoncer les violences policières aux Etats-Unis. Et ces interventions ne sont pas sans risque ! En 2016, Colin Keapernick a dû faire une croix sur sa carrière de footballeur professionnel pour avoir osé ignorer l’hymne américain.

En France, de plus en plus de voix critiquent le coût humain, écologique et financier des grands événements sportifs, mais certaines vont plus loin et analysent le sport comme outil de domination et d’oppression. Si le sujet vous intéresse je vous invite vivement à aller lire les travaux de l’association Saccage 2024. Alors attention, Saccage 2024 n’a strictement rien à voir avec le collectif Saccage Paris qui poste des photos de poubelles remplies en criant “Hidalgo démission !”. Non, Saccage 2024 est un collectif composé d’habitant-e-s de Seine-Saint-Denis et de ses alentours rassemblé-e-s pour défendre leur lieu de vie face aux futurs Jeux Olympiques et Paralympiques.

Ils soutiennent l’idée que les JO, et plus généralement le sport de haut niveau, ne font que reproduire l’ordre social capitaliste, patriarcal, raciste et validiste, en normalisant par exemple les violences physiques et psychologiques subies par les athlètes. Ils dénoncent aussi l’hypocrisie des Jeux Paralympiques, et l’instrumentalisation des personnes handicapé·es à travers le sport comme modèles d’inspiration pour les personnes valides.

Toutes mes excuses à ceux et celles qui ne verraient le sport que comme un divertissement éloigné des contingences politiques. J’en parlais dans une autre chronique : “Tout est politique”. Le sport, comme tout autre domaine, n’échappe pas à cette règle.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !

 

 

 

 

Diffusion mercredi 7 décembre 2022 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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