
Chères auditeurices,
Bonjour et bienvenue dans Mismatch, l’émission dédiée à l’accessibilité des jeux vidéo. Elle est destinée aux professionnels, aux néophytes du média mais aussi aux joueurs et joueuses. Je suis Damien Fargeout, game designer de formation, consultant en accessibilité de jeux vidéo et président de l’association Dear Valid People. Chaque semaine, nous mettrons en lumière, ensemble, chaque pièce du puzzle formant ce jeune domaine qu’est l’accessibilité de jeu vidéo. Étant moi-même handicapé, ma formation mêlée à mon expérience de vie m’ont amené à me spécialiser sur le sujet.
Pour les chroniques à venir, nous nous concentrerons sur les idées reçues dont peut souffrir l’accessibilité des jeux vidéo. L’objectif est d’apporter une nouvelle lumière sur le sujet. Nous allons entamer cette série par la plus populaire et la plus néfaste : “L’accessibilité dégrade le design”.
Cette affirmation n’existe seulement car l’accessibilité n’est pas intégrée au développement de jeu vidéo. Encore aujourd’hui, elle est pensée a posteriori du développement principal, lorsque le temps et l’argent le permettent. Cela donne la sensation qu’il existe deux versions du design : celui prévu à la base et celui accessible. Cela est dû à la compartimentation et au manque de considération de l’accessibilité. Comme vu dans un épisode précédent, cette compartimentation se voit même dans les tests : les tests généraux d’un côté, les tests d’accessibilité de l’autre. L’idéal voudrait qu’il n’y en ait qu’un et un seul design sans possibilité de comparer avec d’autres. Si l’accessibilité était perçue comme un gage de qualité d’un design, à l’égal d’autres critères, cette croyance n’existerait plus. Or, il est encore ressenti comme un poids, une difficulté supplémentaire au développement des jeux vidéo. De plus, les concepteurs de jeu vidéo sont victimes d’un biais connu : réaliser des jeux vidéos pour eux-mêmes. Et rares sont les développeurs de jeux vidéo handicapés dans les studios, donc rares sont ceux qui auraient l’idée, parce qu’ils en ont besoin, d’intégrer de l’accessibilité.
Un design inaccessible ne répond pas à la promesse du jeu vidéo : tout le monde peut jouer. Pour revenir sur la question du test, la presse vidéoludique vient nourrir ces stéréotypes négatifs en plus de cette compartimentation décrite juste avant. Pour elle, des jeux vidéo considérés comme des “joyaux de design” ne devraient pas être accessibles, sous menace d’être altérés. Je pense que c’est dû à une incompréhension de l’accessibilité et au contraire, si ces joyaux pouvaient être profités par tous, cela ne viendrait-il pas légitimer leur statut de joyaux ?
De plus, le monde du jeu vidéo connaît une stagnation en termes de créativité. La course technologique arrive à sa limite où d’autres critères que l’esthétique doivent être explorés pour se démarquer. L’accessibilité est un terrain de design encore inexploré, où l’innovation est à portée de main. Au travers de l’accessibilité, il est possible de trouver d’autres directions de design, comme a pu le déclarer David Galindo, directeur créatif de la série Cook, Serve, Delicious. Après deux opus réussis, il ne savait plus quoi rajouter à la formule pour un troisième opus. Finalement, il s’est rendu compte qu’il pouvait se permettre une refonte du système pour qu’il devienne accessible et offrir une nouvelle dynamique de gameplay.
Pour finir, je veux poser une question aux détracteurs de l’accessibilité : Pourquoi mettre tant d’énergie à critiquer un système qui ne vous concerne pas ? Si tu n’en as pas besoin, tu n’es pas obligé de t’en servir. De plus, si tous les titres étaient accessibles, personne ne verrait la différence mais les joueurs handicapés, si. Il est temps de percevoir l’expérience vidéoludique comme multidimensionnelle. La version des designers n’est plus la seule à être considérée comme véritable. Elle est un compromis entre les designers et les joueurs. Elle est plurielle où chacun peut trouver une forme de fun. Je finirai par une dernière question : est-ce que le design préalablement prévu provoque l’exclusion de certains joueurs ? Si la réponse est oui alors, je dirais qu’il est déjà dégradé.
Pour le prochain épisode, nous allons décortiquer une autre idée reçue qui, selon moi, touche l’accessibilité à tous les niveaux et ralentit aussi sa démocratisation : “L’accessibilité, ce n’est que pour les personnes handicapées”.
Vous venez d’écouter Mismatch, une émission créée par un concerné pour des concernées.
Diffusion vendredi 14 mars 2025 – 10h20
Rediffusion lundi 16 mars 2025 – 10h40
D.Fargeout