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Société

Je ne suis pas ton inspiration

today30/03/2022 62

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    Je ne suis pas ton inspiration Divergence


Vous avez forcément déjà vu passer sur votre fil Facebook ou LinkedIn des vidéos inspirantes qui mettent en scène des personnes handicapées, comme la réaction de ce bébé sourd qui entend la voix de sa mère pour la première fois, ou cette petite fille qui apprend à marcher avec sa nouvelle prothèse de jambe.nnnnLes réseaux sociaux et médias adorent nous abreuver de ce genre d’histoires émouvantes. Censées redonner foi en l’être humain et en sa faculté de résilience, elles nous interpellent directement : “et toi, quelle est ton excuse ?”. D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder les commentaires : cette personne est tellement inspirante, courageuse, quelle leçon de vie…nnnnEt bien tout ça, c’est du validisme bienveillant. ça part d’une bonne intention, mais c’est réellement problématique. Quand on érige en exemple une personne handicapée qui réalise des exploits, ou se contente simplement d’être heureuse dans sa vie “malgré son handicap”, on nous dit quoi en fait ? nnnnDans l’esprit de nombreuses personnes, le handicap est perçu comme une malédiction qui s’abattrait au hasard, condamnant les personnes à une vie de malheur et de solitude. De fait, montrer une personne handicapée dans une attitude positive et combattive surprend, et le moindre geste quotidien, comme faire du sport ou s’occuper de son enfant, devient alors “inspirant”. Évidemment, ces mises en scène partent d’intentions louables : elles sont censées propager la joie et l’espérance. nnnnMais pour nous, personnes handicapées, ces publications relèvent de la « pornographie de l’inspiration ».nnnnL’expression a été utilisée pour la première fois en 2012 par Stella Young, une journaliste australienne handicapée. Dans une conférence, elle raconte son enfance et son adolescence parfaitement banales : elle se chamaillait avec ses jeunes soeurs, avait de bonnes notes à l’école, aidait sa mère au salon de coiffure après les cours et regardait Buffy et Dawson à la télé.nnnnUn jour, une personne bien intentionnée a souhaité la nominer au « prix de la réussite » pour récompenser ses incroyables actions au sein de la communauté. Les parents de Stella ont répondu « c’est gentil, mais elle n’a pas vraiment réussi grand chose ». Pour eux, leur fille de 15 ans ne faisait rien d’exceptionnel comparé aux autres enfants du même âge. Mais voilà : le simple fait d’exister faisait d’elle une inspiration.nnnnEt quelque part ça se comprend. Les personnes handicapées sont socialement invisibles. On a peu de chances de croiser un professeur, un médecin, un vendeur ou un présentateur tv handicapé. Nous sommes donc réduits à un seul rôle, celle de personne handicapée. Comme le dit Stella Young « Nous ne sommes pas de vraies personnes. Nous sommes là pour inspirer ! »nnnnLa pratique de la pornographie de l’inspiration est très courante. Elle consiste à instrumentaliser une partie de la population, pour le plaisir et la valorisation d’une autre. Dans ces publications, les personnes handicapées se trouvent objectifiées, comme le sont souvent les femmes dans l’industrie pornographique, dans le but de rassurer les personnes non concernées.nnnnTout ceci contribue à créer un environnement toxique et destructeur pour les personnes handicapées.nnnnDéjà, parce ça nous transmet un double message : derrière les encouragements, on entend surtout le soulagement. « Ouf, j’ai de la chance, au moins je suis en bonne santé. ». Oui, nous sommes handicapés, et nous n’avons pas besoin qu’on nous le rappelle constamment.nnnnEnsuite, parce que l’exploit devient la norme. Il devient alors acceptable de dire à une personne handicapée qu’elle n’est pas assez combative, qu’elle devrait faire plus d’efforts pour essayer de dépasser son handicap.nnnnOr surpasser son handicap ou « entrer dans la normalité » n’est pas un objectif atteignable pour la majorité des personnes handicapées. C’est une injonction impossible à tenir, comme celle de se montrer toujours facile à vivre et positif pour correspondre au cliché du « bon handicapé ». Le bon handicapé étant celui qui refuse son destin de personne handicapée et cherche constamment à repousser ses limites, et avec le sourire, s’il vous plaît. C’est un poids infini à nous faire porter.nnnnJe crois que le pire cliché est de nous considérer comme des « leçons de vie », juste parce qu’on arrive à vivre avec notre handicap. Nous n’avons rien à enseigner à qui que ce soit, c’est promis.nnnnAlors la prochaine fois que vous verrez passer une image, un article ou une émission présentant des personnes handicapées comme source d’inspiration, questionnez l’intention derrière la mise en scène. Les émotions qui nous envahissent (l’empathie, l’amour, la pitié, etc.) sont des réactions parfaitement naturelles. Mais l’émotion est aussi un levier, puissant, utilisé pour faire du clic, de l’audience, ou récolter des dons.nnnnSi la vue d’une personne handicapée heureuse, ou du moins luttant du mieux qu’elle peut dans une société qui n’est pas adaptée pour elle vous émeut, ne venez pas nous féliciter. Venez plutôt lutter à nos côtés pour que nos réussites deviennent ordinaires.nnnnC’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !nnnnnnDiffusion mercredi 30 mars 2022 – 10h20 / 17h15nnnnnB.Pradillon« 


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