play_arrow

Société

Il s’appelait Samy

today19/04/2023 11

Arrière-plan
share close
  • cover play_arrow

    Il s’appelait Samy Divergence


Il s’appelait Samy, il était autiste non verbal, et il est mort à tout juste 17 ans d’un accident vasculaire dans la moelle épinière. Il se trouve qu’il était aussi le fils d’Églantine Éméyé, animatrice de télévision et radio.

La première fois que j’ai entendu parler de Samy, c’était dans un portrait absolument immonde publié dans le journal Libération. Le journaliste, si on peut appeler ça comme ça, a choisi de créer une dichotomie malsaine entre la mère, décrite comme la “parfaite brune aux douceurs rêveuses” et son enfant autiste, petit monstre baveux et grognant. Une version moderne de “La belle et la bête”. Tout le long de l’article, l’enfant est déshumanisé, présenté comme un “môme sévèrement abîmé” qui “hurle à la lune”, une boule de douleur et de violence, incapable d’aimer sa mère en retour. Toute l’empathie qu’on peut ressentir se porte alors sur la mère, et non sur l’enfant en souffrance. Ce portrait est tellement dégueulasse, excusez-moi l’expression, qu’on l’utilise régulièrement dans nos ateliers de sensibilisation comme exemple de ce tout ce qu’il ne faut pas faire quand on parle de personnes handicapées dans les médias.

La seconde fois que j’ai entendu parler de lui, c’est lorsque la presse a fait part de son décès. Il y a quelques jours, Églantine Éméyé était invitée sur BFMTV où on l’a interrogé sur son fils. Sur le plateau, elle a expliqué que l’État devait créer de nouvelles places en institution, car, je cite, “je crois qu’on est allés au bout de ce qu’on pouvait dans l’inclusion. Il y a des autistes qui auront toujours leur place dans la société, il faut la leur donner, mais il y en a énormément qu’il faut prendre en charge, parfois très très tôt, pour que les familles ne sombrent pas”.

Alors déjà, j’ai du mal à imaginer qu’on soit allés au bout de ce qu’on pouvait faire en termes d’inclusion. Cela reviendrait à dire que notre pays aurait mis en place toutes les mesures nécessaires pour permettre aux personnes handicapées de vivre dignement et en autonomie. Or l’Etat français fait plutôt figure de mauvais élève en la matière. Ce lundi 17 avril, on apprend que le Comité européen des droits sociaux a épinglé la France pour les multiples violations des droits et libertés des personnes en situation de handicap. Ohlala, on est vraiment super surpris.

Dans son discours, Églantine Éméyé donne crédit à un vieux cliché validiste : il y aurait d’un côté les personnes autistes “acceptables”, celleux qui s’intègrent dans la société parce qu’iels sont suffisamment proches de la norme, ou parce qu’iels sont soit-disant “Asperger”. Et de l’autre les autistes que l’on doit cacher, celleux qui seraient “ingérables”.

Alors déjà, le mythe des autistes “Asperger” doit être déconstruit. Le terme Asperger était censé désigner les personnes autistes sans déficience intellectuelle ou retard de langage, puis est venu désigner celleux qui auraient soit-disant un haut niveau intellectuel. Mais ce terme est extrêmement controversé dans le milieu médical depuis sa popularisation dans les années 80. D’autant que l’autisme est un spectre avec autant de nuances que de personnes autistes, et qu’il serait totalement inadapté de prétendre classer ces personnes suivant des critères aussi abscons que le QI.

Enfin, le terme vient du nom de Hans Asperger, psychiatre soupçonné d’avoir fricoté avec les nazis. Déjà à l’époque, le Dr Asperger cherchait à classer d’un côté les autistes socialement acceptables, et de l’autre celleux considérés comme “irrécupérables”. Et cette vision des choses persiste encore aujourd’hui, comme le prouve l’interview d’Églantine Éméyé.

Les personnes handicapées, quel que soit leur handicap, ne méritent pas de vivre enfermées dans des institutions, loin du reste de la société, soumises à des emplois du temps et des règles de vie communes strictes qui ne respectent ni leur individualité ni leurs besoins. On sait que les personnes autistes ont des besoins particuliers. Elles peuvent par exemple être hypersensibles au son ou à la lumière. Ne pas supporter le contact physique ou d’autres types de stimulations. Mettez des dizaines de patients autistes dans le même environnement. Pensez-vous que le personnel, souvent en sous-effectif, ait le temps de subvenir aux besoins individuels de chacun ? Et de la non réponse à ces besoins peut naître de la violence, sur soit-même et sur les autres. Les crises parfois spectaculaires des personnes autistes sont avant tout des signaux de détresse.

La semaine dernière, nous avons d’ailleurs eu droit à un reportage choc d’Envoyé spécial sur les foyers pour handicapés adultes. Dans un extrait particulièrement choquant diffusé sur les réseaux, on voit un homme autiste, en panique, tenter de s’enfuir. Il est contraint, traîné et enfermé dans une pièce par le personnel. On l’entend hurler, sa détresse est palpable, et la violence qu’il subit est simplement inacceptable et contraire aux droits humains les plus fondamentaux.

Je le répéterai autant de fois qu’il le faut : les institutions pour personnes handicapées sont des lieux de maltraitance physique et psychologique. Un enfant a plus de chances de subir des violences et abus de tout type en institution que dans sa propre famille.

Je comprends tout à fait la douleur qui est celle des familles d’enfants polyhandicapés, qui doivent faire face au manque d’aide, aux complexités administratives, et à toutes les incertitudes autour du développement et de l’avenir de leur enfant. Ces parents méritent d’être aidés et soutenus. Lorsque nous militons pour que les personnes handicapées, à commencer par les enfants, restent vivre dans un environnement familial, nous ne disons pas que les familles doivent se débrouiller seules. Au contraire ! Il existe des solutions : il faut accompagner ces familles, engager des auxiliaires 24h sur 24 s’il le faut, pour permettre à ces enfants d’avoir accès à tous les soins et activités dont ils ont besoin, sans sacrifier ni les enfants concernés, ni leur famille. Ce n’est pas une utopie. Ce qu’il nous manque actuellement, c’est le courage politique et la volonté de changer cet état de fait. Remplacer les institutions par des services de proximité serait une vraie révolution, et contrairement aux idées reçues, cela ne serait pas forcément beaucoup plus coûteux.

Aujourd’hui je voudrais rendre hommage à Samy, et à tous les enfants handicapés qui ont vécu, grandi et sont morts entre les quatre murs d’une institution. Nous ne vous oublions pas.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine.

 

 

Diffusion mercredi 19 avril 2023 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


SociétéViens te faire dévalider

Rate it
0%