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Société

Les aides techniques, vecteurs de liberté

today12/04/2023 59 2

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La dernière fois, je suis tombée sur le reportage “Juliette, 10 ans, aveugle et autonome” sur Youtube, qui suit le quotidien d’une petite fille aveugle de naissance. Juliette est effectivement très autonome, curieuse et intelligente, et elle se débrouille très bien où qu’elle aille. Mais il y a un passage qui m’a fait tiquer.

La mère de Juliette refuse que sa fille utilise une canne blanche. “Pourquoi on n’utilise pas la canne blanche nous ?” demande la maman à sa fille devant la caméra. “Parce que les gens peuvent se cogner dedans.” Et la maman d’enchaîner que les gens pourraient penser que c’est un jeu, qu’elle s’amuse avec une canne blanche. “Du coup on a planqué la canne blanche et on préfère faire incognito.”

Pourtant la canne blanche est bien utile. Ce qu’on appelle la canne de locomotion nécessite un apprentissage particulier, car elle permet de détecter les repères et les obstacles, d’identifier la nature du sol, pour se déplacer en toute sécurité dans l’espace public. Mais c’est aussi un symbole de reconnaissance universellement connu, qui permet aux personnes alentour de prêter attention et d’agir en conséquence. N’est-ce pas ça au final qui gêne la mère de Juliette ? Que sa fille soit identifiée comme malvoyante ?

Ce sentiment de gêne et de honte, je le connais. J’ai ressenti la même chose la première fois qu’un ORL m’a parlé d’appareils auditifs. Je n’ai pas pensé une seule seconde à tous les avantages que cela pourrait m’apporter, au soulagement de mieux entendre, aux perspectives sociales et professionnelles. Non, quand on m’a parlé d’appareils auditifs, j’ai eu peur. Peur qu’on les voit, et que cela me stigmatise. Que je sois étiquetée comme “handicapée”.

Et ça, c’est tout simplement du validisme intériorisé. Rassurez-vous, ça se soigne très bien.

Les aides techniques, comme les appareils auditifs, les cannes, les fauteuils roulants ou les appareils d’assistance respiratoire mobiles sont en quelque sorte la preuve visible du handicap. C’est pourquoi nous sommes souvent si mal à l’aise face à ces aides.

« Quel pauvre enfant, CLOUÉ sur son fauteuil, EMPRISONNÉ dans un corset ». On entend souvent ces expressions dramatiques au Téléthon ou dans les médias. Essayons de voir les choses autrement. Êtes-vous « cloué » dans votre voiture ? « Dépendant » du siège sous vos fesses ? « Emprisonné » dans vos chaussures ?

Lorsque le besoin d’aide technique n’est pas brutal et inopiné, suite à un accident par exemple, cela fait généralement suite à un cheminement sur des mois ou des années. Comme moi avec mes appareils auditifs. Et pendant tout ce temps, on peine, on fait des efforts immenses pour marcher, communiquer, ou même respirer comme « tout le monde ». On veut se prouver qu’on en est capable. Il ne faudrait surtout pas céder à la facilité ! « On n’en est quand même pas LÀ ! »

Mais combien de soirées ai-je passé à faire semblant d’entendre ? Combien de fois me suis-je sentie complètement exclue des conversations, isolée au milieu de mes amis, à cause de la musique ou du bruit ambiant ? Obligée de rire à des blagues que je n’avais pas entendues, de donner des réponses floues à des questions inaudibles ? J’étais en permanence à côté de la plaque.

Le matériel technique médical est généralement perçu comme un renoncement dramatique. Le début de la fin, un pied dans la tombe. On entend souvent dire « je ne veux pas finir dans un fauteuil », « dépendre d’une machine » ou « vivre accroché à des tuyaux ». Pourtant, l’aide technique n’est pas une fin, c’est un début ! Quand on accepte enfin de se laisser aider, c’est un soulagement incroyable. Ça change nos vies, ça ouvre des possibles ! Ce n’est pas une régression, c’est un gain brut de confort et de liberté !

Avez-vous déjà vu l’éclat de joie d’un tout petit qui fait ses premiers pas en fauteuil ? Ou qui entend enfin la voix de ses parents grâce à un appareil auditif ? Et le ressenti de cette meuf qui peut de nouveau sortir et travailler, sans se sentir mourir à chaque instant grâce à son respirateur ?

L’autonomie ça n’est pas de « pouvoir faire comme tout le monde ». L’autonomie c’est parfois juste de « pouvoir faire ».

Alors oui, les aides techniques rendent le handicap visible. Mais pour nous, ce handicap a toujours été “visible”. Que vous le voyiez ou pas, le handicap façonne chaque aspect de notre vie. Il est en nous, pas dans nos aides techniques.

Nos « accessoires » ne sont pas nos chaînes, ce sont nos améliorations. Sans tomber dans le transhumanisme délirant, nous les considérons souvent comme des prolongements de nous, nous sentant agressés quand quelqu’un les touche (ne faites pas ça d’ailleurs, merci !).

Vous l’avez compris, pour nous aussi, c’est parfois délicat d’accepter ces aides techniques. ça prend du temps de poser un regard bienveillant sur soi-même et sur son handicap. Et les regards tristes et compatissants ne nous aident certainement pas !

Alors si vous avez autour de vous des personnes handicapées, réjouissez-vous pour elles lorsqu’elles reçoivent un nouvel équipement. Car ce matériel nous aide à compenser nos handicaps et à vivre mieux. Et c’est tout ce qui importe.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !

 

 

Diffusion mercredi 12 avril 2023 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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