Le cas Britney Spears Divergence
“It’s Britney bitch !” Tout le monde connaît Britney Spears. Elle a vendu 100 millions d’albums dans sa carrière, cotoyé les plus grands noms de la pop, et comme toutes les stars de son acabit, sa vie intime a fait les gros titres des journaux plus d’une fois.nnOn se souvient notamment de cette terrible séquence vidéo en 2007, où la star s’est rasée le crâne devant les paparazzis, avant d’être admise en hôpital psychiatrique. Suite à cet incident, une juge de Los Angeles a placé la jeune femme sous le contrôle temporaire de son père. Une mesure judiciaire destinée à protéger une personne majeure et son patrimoine si elle n’est plus en état de veiller sur ses propres intérêts.nnSauf que cette mesure “temporaire” a duré 13 longues années. Le 12 novembre dernier, après des mois de bataille judiciaire, Britney Spears a été enfin libérée de sa tutelle, pour le plus grand bonheur de ses fans qui inondaient le web du hashtag #FreeBritney. nnMais revenons un peu en arrière, pour comprendre comment le cas Britney est devenu un cas d’école en matière de tutelle abusive.nnEn 2008 donc, la star passe sous la tutelle de son père, avec qui elle a pourtant de mauvais rapports. Ce qui veut dire qu’on lui confisque le droit de gérer sa carrière, son argent et même sa vie intime. Et elle ne peut même pas se défendre contre cette tutelle puisqu’on lui interdit d’avoir son propre avocat. La juge déclare que la tutelle est “nécessaire et appropriée en raison de la complexité des entités financières et commerciales, et de son état susceptible d’être sous influence”. Voilà.nnOn a envie de croire qu’une tutelle, qui est un acte de privation de droits extrêmement grave, est forcément justifiée par l’état de santé de la personne concernée. Et pourtant, durant toutes ces années, Britney Spears continuait de faire carrière et de monter sur scène, de gagner beaucoup d’argent, tout en ayant paradoxalement aucun contrôle sur cette carrière et cet argent. Ce qui ressemble quand même fort à de l’exploitation… nnJusqu’en 2019, la star se refuse à commenter publiquement cette tutelle. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Lors des dernières auditions, Britney Spears a expliqué qu’elle voulait se marier et éventuellement avoir un autre enfant, mais qu’on ne l’autorisait pas à enlever son stérilet. Sa vie était donc contrôlée jusqu’aux aspects les plus intimes.nnOn pourrait croire que la fin de la tutelle a signé la fin du cauchemar pour Britney Spears, et bien non ! Figurez-vous que malgré l’injustice dont elle a été victime durant 13 ans, elle dispose toujours d’un tuteur financier qui continuera ainsi à superviser ses biens, estimés à quelque 60 millions de dollars. nnDe ce côté de l’atlantique on a eu l’affaire Liliane Bettencourt, notre Britney Spears à nous. On se souvient qu’en 2011, Liliane Bettencourt, richissime héritière de l’Oréal, avait été mise sous tutelle à la demande de sa fille. Elle avait fait appel de cette décision pour convertir cette tutelle en curatelle, arguant qu’elle était encore capable de faire certains choix, et qu’elle préférait déléguer la gestion de son patrimoine à des tiers.nnSi une telle situation peut arriver à des personnes publiques, connues, puissantes et entourées, qu’en est-il des anonymes, sans moyens et sans entourage ?nnEn France, entre 800 000 et 1 million d’adultes vivent sous protection. La tutelle est souvent confiée à un parent ou proche, et le cas échéant, on désigne un mandataire judiciaire.nnContrairement à Liliane et Britney, la moitié des majeurs sous tutelle vivent sous le seuil de pauvreté. Ce sont principalement des personnes âgées et / ou handicapées. nnD’après une étude parue en 2016, près de 60% des personnes sous tutelle sont des femmes. Au-delà de 80 ans, c’est simple, les femmes présentent un risque d’être sous tutelle 2 fois plus élevé que les hommes. De là à penser qu’il existe certains schémas discriminants, il n’y a qu’un pas. nnMême si on veut faire confiance à la justice pour protéger les adultes dits “vulnérables”, il faut être conscient du sexisme, du racisme ou du validisme systémique de notre société, du système judiciaire, mais aussi des professionnels de santé qui participent au processus de mise sous tutelle. Quand je dis systémique, je veux dire que ce n’est pas la somme de quelques préjugés individuels comme on aimerait souvent nous le faire croire, mais bien le résultat d’un système qui oppresse sciemment certaines populations. nnOn le voit quasiment tous les jours : la justice est inapte à agir efficacement contre les maltraitances, les agressions et toutes les violences à caractère sexiste, raciste, homophobe, transphobe ou validististe. Pas plus tard que cette semaine, on a appris que la justice avait classé sans suite la plainte de cette femme qui avait été insultée par un policier sur son répondeur, et ce malgré un enregistrement audio à charge. Notre histoire commune est pleine de ces discriminations : elles nous ont forgé, que nous le voulions ou non. nnDu coup, comment croire que ces décisions sont uniquement basées sur des faits concrets, sans aucun préjugé ? Que les curatelles et tutelles sont uniquement des “mesures de protection” parfaitement adaptées ? Si l’on veut en finir avec les tutelles abusives, il va falloir accepter d’observer avec attention les défaillances d’un système qui permet aux discriminations d’exister et de prospérer. nnC’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !nnnnnnDiffusion mercredi 23 mars 2022 – 10h20 / 17h15nnnnnB.Pradillon«