Bella Ciao (Partisans italiens, 1944) Divergence
En 2018, les artistes Marc Ribot et Tom Waits reprennent Bella Ciao, l’hymne des partisans italiens. C’est bouleversant. Et nous devons les en remercier. En effet, leur interprétation, aussi calme soit-elle, nous fait l’effet d’un électrochoc. Car la version est lente, gutturale, intime. La voix rocailleuse, si caractéristique de Tom Waits, paraît une vibration d’outre-tombe. La guitare de Marc Ribot est discrète et langoureuse, comme fatiguée. Il en ressort une impression de tristesse et de découragement. Avec l’élection de Trump, c’est l’absurdité cruelle du monde qui triomphe. Cette ironie écœurante qui fait que le peuple vote pour son bourreau. Et face à cela, c’est avec la force du désespoir qu’il faut lutter car c’est la seule qui demeure. Et c’est justement cette atmosphère crépusculaire qui produit une réaction de sursaut vital. Comme si cette langueur éveillait, en négatif, l’énergie nécessaire pour se lever et continuer à lutter, debout, pour un monde meilleur. n
Oui, il faut remercier Marc Ribot et Tom Waits. En effet, la même année 2018, ce même morceau, Bella Ciao, est repris par le chanteur de rap français Maître Gims. En veux-tu en voilà, de l’absurdité ! Parce que, je peux vous le dire, je viens de l’écouter, et c’est moche. Entre boite à rythme, voix modifiées électroniquement et synthétiseurs, le résultat est indécent. Seule l’histoire d’amour est évoquée, quand tout l’aspect résistant du chant est effacé à coup de « la-la-la-la la, la-la-la-la la ». Une chanson de résistance antifasciste reprise par un rappeur aux propos d’ordinaire misogynes et parfois homophobes, voilà l’absurdité du monde qui se déverse devant nous. Mais, au milieu de cette absurdité du monde, il y a de la magie. C’est comme si le monde était guidé par une tension perpétuelle entre deux forces matricielles qui s’opposent. Un ying et un yang. Car, si d’un coté, on massacre la mémoire des résistants en produisant une sombre daube abrutissante, de l’autre, en une sorte de réponse mystique, on l’honore avec délicatesse et respect. Pour cela, oui, il faut remercier messieurs Ribot et Waits.n
Ce qui est dommage, dans cette dernière version, c’est la tristesse résolue dont elle est toute empreinte. C’est une version sans espoir d’avenir. C’est finalement une version bien en accord avec l’air du temps, malheureusement. Nous sommes loin de la version des partisans italiens qui se battaient pour la liberté. Cette liberté, c’était l’avenir, justement, et il le souhaitent radieux. Ils n’avaient d’autre choix que de l’imaginer radieux, d’en avoir l’espérance, c’était la seule façon de tenir. Cette joie, qui défie tout, la misère, le fascisme, la guerre, cette joie, donc, irradie la version italienne. La version originale est déjà une chanson de protestation des mondines, ces femmes saisonnières aux dures conditions de travail dans les rizières du nord de l’Italie. C’est sur cette air traditionnel que les paroles ont été réécrites pour la lutte antifasciste. Bien que les paroles soient assez consensuelles, cette version s’impose à la fin des années 40 comme l’hymne de la résistance italienne. Et c’est dans cette version que nous souhaitons rendre hommage à leur combat ainsi qu’à tous les combats contre les ténèbres et pour un monde meilleur. En souvenir de toutes les fleurs de la liberté, trop nombreuses, qui poussent sur les hauteurs des collines, comme tant de sourires et de poings levés, d’amour fraternel pour une humanité debout et colorée. « E questo è il fioré del partigiano morto per la liertà ».nnnnnDiffusion mardi 22 janvier 2019 – 10h40 / 17h40nnnnC.Pereirann »