Born Free (M.I.A., 2010) Divergence
En 2010 circulait un clip étrange sur la sphère Internet. D’une durée peu commune, avoisinant la dizaine de minutes, la vidéo était en quelque sorte un court métrage montrant la persécution de personnes aux cheveux roux dans une société ultra militarisée. Les images sont violentes, angoissantes, soutenues par une musique électronique saccadée et oppressante. Les scènes de traque sont particulièrement choquantes et féroces : la police, masquée, protégée, effectue des descentes dans les immeubles, frappant et tabassant les populations. On y voit une société déshumanisée, agressive, répressive envers les roux qui sont traités comme des animaux, emprisonnés dans des camps et assassinés. On y voit également des mouvements de résistance contre l’État oppresseur. La violence est à son paroxysme lorsqu’un jeune adolescent roux est tué en gros plan, d’une balle dans la tête, au milieu de ce qui ressemble à une purge ethnique. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, Youtube bloque la diffusion de la vidéo.n
Qui se cache donc derrière ce mystérieux clip ? L’artiste britannique Mathangi Arulpragasam, plus connue sous le nom de MIA, chanteuse, compositrice, productrice, styliste, mannequin, également remarquée pour son activisme et ses provocantes prises de position. MIA, d’origine tamoul, est née au Sri Lanka en 1975. Son père est un activiste chevronné ayant notamment fondé l’Eelam Revolutionary Organisation of Students, un groupe étudiant militant pour l’indépendance tamoule. En 1983 éclate la guerre civile du Sri Lanka opposant, d’un coté, le gouvernement sri-lankais dominé par la majorité bouddhiste et, de l’autre, les Tigres de libération de l’Ilam tamoul, organisation séparatiste de religion hindoue.n
Le conflit est d’une particulière violence. On parle, en 2008, de 70 000 morts et de 140 000 disparus. Les Tamouls sont particulièrement persécutés. A l’origine du conflit, une histoire macabre : en juillet 1983, un groupe de jeune filles tamoules est forcé de monter dans un car du gouvernement conduit par des militaires cinghalais. Ces étudiantes ont été torturées, violées et tuées. La découverte des cadavres donne lieu à une révolte des Tigres, provoquant la mort de 13 soldats sri-lankais. Les obsèques de ces derniers provoquent de violentes représailles contre les Tamouls, représailles connues sous le nom de « Progrom du juillet noir », avec près de 3000 victimes et plus de 20 000 maisons et commerces détruits.n
C’est dans ce contexte qu’en 1986 la famille de MIA fuit le Sri-Lanka pour arriver à Londres en tant que réfugiée. Et ce n’est qu’en connaissant cette histoire que l’on peut comprendre plus en profondeur le clip de Born Free. En effet, si l’on remplace les roux par les Tamouls, les propos de l’artiste deviennent soudainement plus évocateurs en dénonçant les persécutions subies par cette minorité ethnique du Sri-Lanka. La réalisation du clip n’est pas laissée au hasard : elle est confiée à Romain Gavras, fils du cinéaste engagé Costa-Gavras, cofondateur en 1995 du collectif Kourtrajmé avec Kim Chapiron et connu pour la violence de ses productions.n
En 2009, un an avant la sortie de la vidéo, des accords de paix furent signés entre le pouvoir et la guérilla des Tigres. Néanmoins, Amnesty International rapporte que les discriminations envers les Tamouls, mais également les musulmans et les chrétiens, sont toujours d’actualité. D’ailleurs, les propos des deux artistes dépassent l’unique cas du Sri Lanka pour dénoncer toutes les formes de discriminations qui ont encore court sur l’ensemble de la planète.nnnnDiffusion vendredi 16 février 2018 – 10h40 / 17h40nnnC.Pereiran »