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Société

Vivès et le festival d’Angoulême

today21/12/2022 1

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    Vivès et le festival d’Angoulême Divergence


C’est officiel, le festival de la BD d’Angoulême a finalement décidé d’annuler l’exposition “Dans les yeux de Bastien Vivès”. Le célèbre festival, qui se tiendra fin janvier 2023, avait initialement prévu de mettre à l’honneur le dessinateur, connu pour ses publications érotiques et pédopornographiques. Un choix qui avait provoqué de nombreux remous dans le petit monde de la BD.

Je n’ai pas attendu cette polémique pour entendre parler cet auteur. En effet, ça fait quelques années que des voix, certes timides, remettent en question à la fois son travail et son comportement. En 2017, Bastien Vivès s’était notamment attaqué très violemment à Emma, l’autrice de la BD “Fallait demander !” sur la charge mentale. En plus de critiquer ouvertement son travail, en disant qu’elle ne savait pas dessiner, il s’en est pris publiquement à sa famille dans des commentaires facebook, disant qu’on devrait “buter son gosse”, ou lui souhaitant encore d’être poignardé par son enfant.

Il a ensuite signé une BD intitulée “La décharge mentale”, probablement un clin d’œil glauque à la BD d’Emma, où il met en scène des filles de 10, 15 et 18 ans ayant des relations sexuelles avec un homme adulte. Notons que le bonhomme, en dehors de ses dessins, a plusieurs fois avoué son réel penchant pour les très jeunes filles. Si ce n’est pas un red flag, je ne sais pas ce que c’est.

Le festival d’Angoulême a justifié la déprogrammation de l’événement en raison de « menaces physiques » proférées vis-à-vis de l’auteur, continuant à défendre Bastien Vivès au nom de la sacro-sainte liberté d’expression. Ce n’est pas la première fois qu’une telle rhétorique est utilisée, souvenez-vous Cantat, Polanski, Matzneff ou PPDA. Combien d’artistes ou personnalités publiques ont ainsi été défendues envers et contre tout, érigées en victimes face à la critique ? Que ce soit l’homme ou l’oeuvre qui fait débat, on préfère crier à la censure plutôt que de débattre du fond du problème. Du système qui produit ces exemples à la chaîne, comme un disque rayé qui n’en finit plus de produire la même rengaine.

Moi, ce qui m’interroge, au delà du débat sur ce que doit être l’art, c’est cette fameuse liberté d’expression. Une liberté érigée en totem d’immunité pour défendre des personnalités ou artistes, principalement hommes blancs et puissants. Puissants parce qu’ils ont à la fois la position sociale, les outils intellectuels et la capacité financière de se défendre eux-mêmes. Puissants parce que leur voix porte au dessus des autres, dans les médias et événements où on leur déroule le tapis rouge. Depuis toujours, la liberté d’expression sert d’excuse à ces hommes.

Qui aurait pu penser qu’après MeToo, on doive encore se battre et argumenter jusqu’à l’usure pour que les violences sexuelles soient prises au sérieux ? Pour qu’on arrête d’encenser et médiatiser des personnalités qui glamourisent ces mêmes violences ?

Car Bastien Vivès ne sort pas de nulle part. C’est un auteur encensé, primé, invité sur les plateaux. Il est édité par Glénat, un grand nom de la BD, et Casterman s’apprête à sortir une collection érotique sous sa direction. Il est donc largement soutenu dans le milieu très fermé de la BD.

Ceux et celles qui le critiquent, eux, ne bénéficient pas de la même “liberté d’expression”. Car critiquer ouvertement un auteur édité par Glénat, quand on travaille soi-même dans la BD, c’est risquer de se faire black lister, et de perdre son gagne-pain.

On nous serine qu’il faut prendre garde à la “menace wokiste”, à la cancel culture ou à ces terribles féministes hystériques. Moi je vois une société qui a du mal à évoluer, car les cercles de pouvoir, médiatiques, politiques ou artistiques, continuent d’être tenus par des hommes. Notre société toute entière est régie par des boy’s club qui favorisent l’entre-soit et écrasent les voix dissidentes, réduisant inlassablement au silence les victimes de racisme, de lgbt-phobies, de violences sexuelles et sexistes.

Bastien Vivès n’est pas une voix dissidente, qui bousculerait la morale et la bien-pensance, il est au contraire le fruit d’un système parfaitement huilé, pensé par et pour les hommes. Il est l’expression même de la voix dominante, celle qu’on refuse de remettre en question. Et l’annulation de son exposition n’est pas vraiment une victoire, puisqu’il continue d’être défendu par le festival et une partie de la profession.

J’en viens à penser que MeToo ne nous a rien appris. Nous, les victimes, savions déjà que nous étions nombreuses et la plupart du temps silencieuses. Mais les autres, qu’ont-ils appris ? Quelles leçons ont-ils tiré de tout ça ?

Partout, l’impunité règne encore en maître. Les discriminations et violences n’ont jamais baissé. Les dénonciations sont plus nombreuses mais sans réel impact. Trop de vies brisées pour quelques carrières à peine amochées.

Alors si vous le permettez, je vais profiter de mon privilège, de ce petit espace de liberté d’expression qui m’est donné ici pour continuer à déconstruire les discours dominants, et donner de la voix à ceux et celles qui n’en ont pas. Qui à me faire traiter de wokiste !

C’était Béatrice, pour la dernière chronique de cette saison. Je vous souhaite de belles fêtes et j’aurais le plaisir de vous retrouver l’année prochaine !

 

 

 

Diffusion mercredi 21 décembre 2022 – 10h20 / 17h05

 

 

B.Pradillon


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