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Société

Un vent de révolte

today22/03/2023 3

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    Un vent de révolte Divergence


Il souffle un vent de révolte depuis plusieurs semaines autour de la réforme des retraites. Je dis “autour” car la crise démocratique actuelle va bien au-delà de son sujet premier. Le mouvement s’est encore radicalisé lundi après le rejet de la motion de censure transpartisane à l’encontre du gouvernement, à quelques voix près. En d’autres termes, la dissolution espérée n’aura pas lieu, Elisabeth Borne reste Première ministre, et la réforme des retraites est adoptée.

Malgré cela, le mouvement de contestation ne faiblit pas. Une nouvelle journée de grève nationale est prévue demain, et il est fort probable que d’autres suivront.

J’en profite pour apporter mon soutien plein et entier aux grévistes et autres bloqueurs, qui en plus de perdre de précieux jours de paie en période d’inflation, voient leurs droits bafoués par un police de plus en plus violente. Ne lâchez rien. Vous manifestez pour tous ceux et celles qui ne le peuvent pas. Je pense notamment aux 150 000 travailleurs handicapés qui exercent en ESAT, et qui à cause de leur statut particulier n’ont pas le droit de se syndiquer ou de faire grève.

Puisqu’on parle de la durée du travail, il faut rappeler que le travail tue, rend malade ou handicapé.

Dans une intervention houleuse, Aurélien Saintoul, député insoumis, a récemment rappelé au Ministre du Travail que les morts au travail ont augmenté entre 2017 et 2019, pour atteindre les 733 décès, sans compter les accidents de la route et les décès liés à des maladies professionnelles. D’ailleurs, en creusant un peu, on apprend que ces chiffres ne comptent ni les travailleurs de la fonction publique, ni les travailleurs soumis à des régimes spéciaux comme les cheminots. Des régimes spéciaux qui appartiennent désormais au passé, soit dit en passant.

Selon toute vraisemblance, cette augmentation des décès est en partie due à la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en 2017. Ben oui, moins on contrôle les lieux de travail, plus les conditions de travail tendent à se dégrader. Et puis comme le souligne l’émission de Médiapart “Ouvrez les guillemets”, le recours de plus en plus systématique à la sous-traitance dilue les responsabilités des entreprises. Sans parler de la précarisation du monde du travail, qui pousse les salariés au silence.

Pour justifier ces décès, les patrons aiment bien pointer du doigt “l’erreur humaine”. C’est bien pratique. Matthieu Lépine, un professeur d’histoire / géo qui recense les morts au travail, explique que ces erreurs sont en fait souvent dûes au manque de formation des salariés, aux cadences imposées ou encore au matériel vétuste et mal entretenu. C’est moins simple qu’il n’y paraît.

Bien sûr, cela touche davantage certaines classes professionnelles : on décède plus quand on est manutentionnaire, agriculteur ou bûcheron que lorsqu’on travaille dans une bibliothèque ou un bureau d’avocat. Ce qui n’empêche pas les professions en apparence privilégiées d’avoir leurs propres difficultés : stress, harcèlement, qui conduisent au burn out, à la dépression ou aux accidents cardiaques. La souffrance au travail n’épargne quasiment personne.

Les inégalités entre catégories socio-professionnelles se font encore plus flagrantes quand on regarde l’espérance de vie. Ben oui c’est bien beau d’avoir le droit à une retraite, encore faut-il pouvoir en profiter ! En reculant à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite, c’est à dire 67 ans pour l’énorme majorité des personnes qui ont fait des études ou ont connu des périodes de chômage, le gouvernement réduit d’autant plus le temps qu’il nous reste à vivre sans travailler, un temps qui varie énormément selon que l’on soit cadre ou ouvrier. Les chiffres parlent d’eux mêmes : les hommes cadres vivent en moyenne 6 ans de plus que les hommes ouvriers. En partant à la retraite à 62 ans, 25% des hommes les plus pauvres sont morts avant de pouvoir jouir de leur retraite. Si l’on passe à 64 ans comme le prévoit la réforme, ce chiffre grimpera à près de 30%.

On pourrait aligner les chiffres ainsi pendant des heures au point de s’y perdre. Retenons seulement que les plus pauvres seront toujours défavorisés par des mesures prises par un gouvernement composé en grande partie de bourgeois, voire carrément de millionnaires. Ces gens planent tellement loin au-dessus du commun des mortels qu’ils n’ont aucune conscience des réalités vécues par la grande majorité d’entre nous. Et au fond, ils se foutent bien que nos corps usés par des années de dur labeur ne profitent en rien de cette retraite tant espérée.

Plus que l’âge légal de départ à la retraite ou les conditions de travail, c’est la place même du travail que nous devrions repenser. La retraite est censée être une “grande compensation” pour une vie entière dédiée au travail. Mais que fait-on des personnes dites improductives, parce qu’elles sont malades, handicapées, ou trop âgées pour être employées ? Devons-nous être productifs à tout prix, est-ce là le seul sens qu’on peut donner à notre vie ? Le travail est censé permettre à chacun de se rendre utile. Mais avoir des activités bénévoles qui bénéficient à la communauté, ou simplement élever ses enfants, n’est-ce pas aussi utile qu’un travail classique ?

Normalement, l’évolution du monde du travail, l’accélération de la robotisation et de la dématérialisation devraient nous permettre de travailler moins, et moins longtemps. N’y a-t-il pas de plus bel objectif que de pouvoir profiter un peu de notre temps avec ceux que l’on aime, remplacer le temps productif par du temps improductif ? Il serait temps de valoriser d’autres activités, d’autres parcours de vie. Le travail n’est pas forcément une fin en soi, et la complexité grandissante de notre monde devrait nous permettre d’envisager d’autres objectifs que celui de la productivité à tout prix.

Sur ces bonnes paroles, je vous souhaite une bonne semaine, et une bonne manif pour les camarades qui défileront demain.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”.

 

 

Diffusion mercredi 22 mars 2023 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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