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Société

Sois mère et tais-toi

today28/05/2024 35

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    Sois mère et tais-toi Divergence


Bonjour et bienvenue dans “Viens te faire dévalider”, la chronique qui décortique les préjugés et l’actualité autour du genre et du handicap.

Quand je suis devenue mère, j’ai réalisé qu’on m’avait menti sur toute la ligne.

On m’avait répété que la grossesse était une parenthèse idyllique, que l’accouchement serait le plus beau jour de ma vie, et qu’être mère serait le meilleur rôle que je ne pourrais jamais endosser. J’étais impatiente de monter dans le manège, je m’imaginais déjà avec mon bébé gazouillant dans les bras, une vraie image d’Épinal. Je n’étais absolument pas préparée à tout ce qui allait suivre.

J’ai pris de plein fouet la fatigue, les angoisses, les douleurs, les remarques grossophobes, l’envahissement permanent de mon espace personnel, la sur-médicalisation de mon corps, les violences gynécologiques et obstétricales, comme ce gynécologue qui m’a fait des bleus au ventre en poussant dessus avec ses poings car il voulait une meilleure image à l’échographie, les innombrables injonctions qui s’intensifient avec l’arrivée du bébé “fais ci, fais ça, mais surtout pas comme ça” ! Puis l’épisiotomie sans consentement, toujours plus de douleurs, et l’isolement terrible du post partum, lorsque toute l’attention se reporte soudain de la mère au bébé. D’ailleurs, dans la maternité où j’ai accouché, les fenêtres étaient scellées pour éviter que les jeunes mères se défenestrent. J’ai eu la chance d’avoir un partenaire très présent, honnêtement j’ignore comment j’aurai survécu sans lui, avec cette tempête d’émotions et ce corps qui semblait être passé sous les roues d’un camion.

J’ai réalisé qu’il existait un véritable fossé entre l’image que la société souhaite nous donner de la maternité, et la maternité vécue.

Lorsque j’ai commencé à me sentir de nouveau un peu moi-même, j’ai culpabilisé de ressasser tous les aspects négatifs, comme si cela faisait de moi une mauvaise mère. Mais je m’interrogeais. Combien étions-nous à avoir aussi mal vécu la grossesse et le post partum ? Depuis lors, c’est devenu un sujet de recherche récurrent, presque une obsession. J’ai découvert au fil de l’eau d’innombrables témoignages, des parcours parsemés d’injustices, de solitude, de souffrance, de discriminations et de violences. Ce qui revenait beaucoup, c’est le poids des injonctions, à commencer par celle de devenir mère à tout prix, car c’est ce que la société attend de nous.

Les langues se délient sur certains sujets. Il y a eu le concept de charge mentale popularisé par la dessinatrice Emma, le hashtag #MonPostPartum début 2020, la popularité grandissante du mouvement “No kids”… C’est comme si le lourd voile du silence imposé aux mères se déchirait par endroit.

La loupe du militantisme m’a emmené à d’autres réflexions. Oui, la parole se libère, mais principalement celle des femmes blanches et valides. On ne parle quasiment jamais de la maternité des femmes handicapées. De toutes les difficultés qu’elles rencontrent avant même de devenir mères. Car les femmes handicapées vivent au croisement du sexisme et du validisme, ce qui crée des situations de discriminations particulières.

Par exemple, à l’heure où Emmanuel Macron parle de “réarmer démographiquement la France”, on pousse les femmes à enfanter. Toutes ? Et non, un petit contingent résiste. Les femmes handicapées, jugées inaptes à la maternité. On pratique encore les stérilisations forcées dans certains établissements spécialisés, et la contraception reste souvent un pré-requis pour obtenir une place en institution. Lorsqu’elles ont la chance de vivre en autonomie et de faire des choix par elles-mêmes, les femmes avec des handicaps principalement physiques ou psychiatriques sont encouragées à avorter lorsqu’elles tombent enceinte. Et si elles réussissent malgré tout à mener leur grossesse à terme, elles seront jugées toute leur vie, suivie de près par les services sociaux à l’affût du moindre faux pas. Lasses, certaines ont choisi de s’exposer sur les réseaux sociaux, de filmer leur quotidien pour montrer qu’elles étaient capables d’être des mères ordinaires, quel que soit leur handicap.

Mais les femmes handicapées ne sont pas les seules à vivre des injustices spécifiques, au croisement de différentes oppressions. Serena Williams, la célèbre joueuse de tennis américaine, a révélé à la presse avoir failli mourir pendant son premier accouchement, parce que les soignants minimisaient sa souffrance alors qu’elle était en train de faire une embolie. « Aux États-Unis, les femmes noires sont près de trois fois plus susceptibles de mourir pendant ou après l’accouchement que leurs homologues blanches. Beaucoup de ces décès sont considérés par les experts comme évitables. ».

Kimberlé Crenshaw – juriste, professeur de droit et conférencière sur les questions de genre et de race – a été la première à conceptualiser ce phénomène. C’est elle qui a inventé le terme “intersectionnalité” pour analyser la situation spécifique des femmes racisées, qui subissent un mélange de sexisme et de racisme.

A mon sens, la grossesse et ce qui suit expose les femmes à un subtil mélange de sexisme, de validisme et de grossophobie, auquel peut venir s’ajouter d’autres discriminations pour les personnes non blanches ou lgbtqia+. Nous ne sommes pas égales face à ce sujet : certaines ont la chance et le privilège d’avoir une expérience très positive et sans violence, mais je crois que nous sommes encore plus nombreuses à garder les séquelles de fausses couches, d’accouchements traumatiques, de dépression post-partum, de violences et maltraitances médicales. Sans parler des violences au sein du couple qui débutent ou s’aggravent au moment de la grossesse, ou encore des inégalités qui s’accélèrent sur le plan professionnel et financier.

Je n’ai pas de solution miracle, hélas. On peut travailler sur les inégalités de genre, sur les diverses formes de violence, sur les mentalités grossophobes, sur la prise en charge dans les maternités, mais certaines douleurs sont et seront toujours inévitables. Mais nous pouvons agir autour de nous en s’autorisant à raconter nos vécus, pour contribuer à créer d’autres images de la maternité et de la parentalité en général, pour toutes les personnes qui attendent de monter dans le manège.

C’était Béatrice, du collectif Les Dévalideuses pour Divergence FM. A la semaine prochaine !

Voir le replay de l’intervention des Dévalideuses sur IVG et handicap, dans le cadre de la campagne européenne Mon corps mon choix : https://m.twitch.tv/videos/2155715944?t=1091s

 

Diffusion mercredi 29 mai 2024 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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