Nos proches ne sont pas des héros Divergence
Dans cette chronique, je parle beaucoup de validisme, qui est la discrimination vécue par les personnes handicapées. Le validisme ne se traduit pas toujours par du dégoût ou du rejet. Parfois, il se cache sous des couches de bonnes intentions. C’est ce qu’on appelle le “validisme bienveillant”. Et il est difficile à combattre, ce validisme bienveillant. Car il vient se nicher derrière un comportement en apparence positif et empathique.
Par exemple, les personnes valides ont tendance à sur-valoriser l’entourage des personnes handicapées. On ne va pas le nier, si le handicap lui-même est une expérience individuelle qui ne peut jamais être complètement partagée, il touche de près la vie de nos proches, parents, conjoint et enfants.
Déjà très concrètement, le quotidien avec nous doit souvent être adapté à nos besoins : alimentation, choix d’ameublement, sorties, etc. Et puis il y a les rendez-vous médicaux réguliers, les possibles crises physiques ou mentales, les aménagements du temps de travail, et l’inquiétude sur notre état de santé…
Dans mon cas, même si ça semble peu contraignant au premier abord, j’ai conscience que mon conjoint doit faire des efforts permanents pour communiquer avec moi. Pendant près de 10 ans, avant que je porte des appareils auditifs, il devait régulièrement répéter ses propos en faisant attention à articuler correctement. En public, il me répétait ce que les gens disaient lorsqu’il voyait dans mon regard que je n’avais pas compris. C’est plus facile maintenant, mais les appareils auditifs ne sont pas une solution miracle. Il arrive encore souvent que je lui demande de répéter. C’est une charge mentale et j’en ai conscience.
Aux yeux de la société, nos conjoints sont souvent considérés comme nos aidants plutôt que de simples partenaires de vie. En public ou en privé, on souligne leur courage et leur abnégation. On chuchote « moi, je ne pourrais pas avoir une relation avec une personne handicapée ».
Bien sûr, nos conjoints font des concessions, ils nous consacrent du temps et de l’énergie. Sûrement un peu plus que la moyenne. Mais ça n’est pas la base de toute relation ? C’est la même chose dans un couple valide : votre conjoint est vegan, militant politique, sportif de haut niveau, ou se passionne pour les maquettes et a besoin d’une pièce entière pour sa collection ? Toute relation demande des efforts et des concessions.
Si nos conjoints font autant d’efforts, c’est avant tout par amour. Être en couple avec une personne handicapée, ce n’est pas un geste de bonté ou de charité hein, et ce n’est pas non plus une “vocation”. On encense leur courage et leur dévouement, mais on oublie qu’il ne s’agit pas d’une relation à sens unique. S’ils ont décidé d’être à nos côtés, c’est parce qu’ils ont trouvé en nous ce dont ils avaient besoin.
Nous les aimons, nous les encourageons, nous les faisons rire. Nous leur rappelons leur rendez-vous, organisons les prochaines vacances, leur faisons découvrir un nouveau livre, écoutons leurs problèmes de boulot, nous les entourant de soins et d’affection. C’est une relation réciproque et finalement bien ordinaire…
Je ne nie pas la charge de travail supplémentaire que le handicap peut engendrer dans une relation. Parfois, le handicap demande une attention de tous les instants, et les parents ou conjoints deviennent par défaut des « aidants familiaux». Ils mettent leur vie de côté et donnent toute leur énergie.
C’est le cas de beaucoup de mères d’enfants handicapées. Elles sont les premières à devoir faire un trait sur leur vie professionnelle pour s’occuper de leur enfant H24 : rendez-vous médicaux, démarches administratives, traitements, adaptation de l’environnement…
Bien sûr nos proches font ça par amour, c’est touchant. Mais trouver ça formidable et courageux nous gêne un peu aux entournures. Parce que cela empêche de se poser une question essentielle : ont-ils réellement le choix ? Parfois oui. Plus souvent, ils n’ont pas beaucoup d’autres alternatives. Actuellement, les aides sont rarement à la hauteur de nos besoins, et nos proches se trouvent chargés de compenser, jusqu’à épuisement, les manquements de la société.
Chez Les Dévalideuses, nous pensons qu’un autre mode de vie serait possible. L’État doit développer des services de soins de proximité et mettre en place les conditions financières pour que chacun puisse avoir droit à une aide individualisée. Les personnes handicapées aspirent à vivre en autonomie ; ça ne veut pas dire vivre en totale indépendance ou être autosuffisant. Ça veut dire bénéficier des aides matérielles, humaines et financières pour être en mesure de faire des choix et d’organiser son quotidien librement. C’est par exemple proposer suffisamment de logements accessibles pour que les personnes handicapées puissent se déplacer et effectuer seules les gestes du quotidien. C’est généraliser les aides humaines à domicile pour les parents d’enfants handicapés, pour qu’ils puissent retrouver leur place de parent. Ou encore permettre la scolarisation de tous les enfants handicapés dans de bonnes conditions.
Si les relations que nous tissons avec notre entourage semblent parfois déséquilibrées, c’est principalement parce que notre environnement n’est pas pensé pour nous.
Vous avez peut-être déjà vu sur les réseaux sociaux cette vidéo d’un enfant qui signe entièrement les dialogues d’un film pour ses parents sourds. Cette vidéo a énormément ému les gens. Oui, c’est adorable. Mais ce qu’il faut voir, derrière ce geste d’amour, c’est surtout l’absence de sous-titres qui fait peser cette responsabilité sur un enfant !
Vous l’avez compris, plutôt que de considérer nos proches comme des héros, et nous comme des boulets dont il faut s’occuper, revendiquons plutôt les conditions et moyens nécessaires pour qu’ils ne s’épuisent plus à nous aider, afin qu’ils puissent être *juste* nos merveilleux proches !
C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 7 juin 2023 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon