play_arrow

Société

ESAT : des milieux pas si protégés

today11/01/2023 289

Arrière-plan
share close
  • cover play_arrow

    ESAT : des milieux pas si protégés Divergence


Bonjour à tous et à toutes et surtout : bonne année !

Pour commencer cette nouvelle saison, je me suis penchée sur les ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail), qui sont des établissement médico-sociaux de “travail protégé”, réservés aux personnes en situation de handicap, et visant leur insertion ou réinsertion sociale et professionnelle.

Quand on pense « ESAT », on s’imagine volontiers des ateliers sympas, bien encadrés, où des personnes handicapées viennent travailler à temps partiel, dans le respect de leur intégrité et de leurs besoins. Des établissements sans aucune visée de rentabilité, destinés à apporter des compétences aux personnes handicapées, à reconstruire leur confiance en elles dans l’objectif de les orienter vers le monde professionnel. Ou simplement de fournir une activité et un complément financier à ceux et celles qui ne pourront jamais intégrer une entreprise ordinaire.

Cette vision idéalisée n’est pas sans rapport avec la définition même de ces établissements. On les appelle des environnements de travail « protégé », comme si ces structures offraient une protection aux personnes handicapées, un refuge loin des contingences du système capitaliste. D’ailleurs, les personnes qui y travaillent ne sont pas des salariés mais des “usagers”, comme à la SNCF. On considère qu’elles bénéficient d’un service.

Les ESAT sont donc plutôt bien vus, on loue les entreprises qui font appel à leurs services, et la presse locale regorge d’articles en faveur des quelques 1450 établissements implantés sur le territoire. Il y a derrière cette approche un paternalisme à peine voilé, une idée que ces personnes handicapées ont bien de la chance de pouvoir travailler dans ces conditions. Ces établissements sont d’ailleurs entre les mains d’associations gestionnaires comme l’UNAPEI, qui ont elles aussi bonne presse, ainsi qu’une certaine influence auprès des décideurs politiques.

Pour découvrir l’envers du décor, je me suis donc plongée dans “Handicap à vendre” du journaliste Thibault Petit, un livre publié début 2022. Je ne vais pas m’épancher sur les défauts du livre, sur le manque de vision politique, sur l’écriture misérabiliste, ou sur l’absence évidente de la notion de “validisme” qui montre que l’auteur est passé un peu à côté de son sujet. Cependant, cette enquête a au moins le mérite de pointer du doigt un système qui perdure depuis les années 70, une exception française soigneusement entretenue, témoin d’une vision médicale et paternaliste du handicap.

Les usagers comme on les appelle, travaillent pour la plupart 35h par semaine, pour 750€ net. Ce salaire, même complété par d’autres allocations, atteint tout juste le salaire minimum d’un employé lambda. Ils ne peuvent ni faire grève, ni se syndiquer, ni alerter l’inspection du travail ou saisir les Prud’Hommes. Les périodes d’essai sont excessivement longues, jusqu’à 12 mois, pour des emplois pourtant subalternes.

Ils réalisent des travaux laborieux et répétitifs, dans des conditions parfois déplorables : soudage de pièces électroniques, fabrication de palettes, blanchisserie, reconditionnement de box internet, travaux agricoles, etc. Ils sont censés bénéficier d’adaptations, mais la rentabilité reste le maître mot. Les ESAT étant soumis à la concurrence, les impératifs économiques prévalent sur le bien-être des usagers.

Pour beaucoup, au-delà des tâches pénibles et du salaire de misère, c’est la maltraitance morale qui est difficile à supporter. Les usagers témoignent auprès du journaliste des pressions psychologiques, brimades, insultes qu’ils subissent. Ce milieu soit-disant “protégé” ne les protège de rien. Thibault Petit cite en exemple le prix du café : dans les ESAT visités, le café est plus cher pour les travailleurs handicapés (0,40€) que pour les encadrants valides (0,15€). Une différence qui en dit long sur le manque de considération dont ils sont victimes.

Les ESAT sont problématiques parce qu’ils visent à entretenir la ségrégation entre personnes handicapées et valides. Au lieu d’adapter les entreprises ordinaires aux personnes handicapées, on place volontairement tous les handicapés dans le même panier, déniant à la fois leurs aspirations personnelles et les spécificités liées à leur handicap. Les ESAT sont censés favoriser l’insertion ou la réinsertion en milieu ordinaire, mais on apprend que seulement 2% des usagers arrivent à se réinsérer dans des entreprises après être passés en ESAT. Pire, aujourd’hui ce sont d’anciens salariés en milieu ordinaire, parfois diplômés, qui postulent auprès des ESAT. Parce que le monde du travail les a cassés, poussés au burn out, on les considère comme inadaptés, et sont dirigés vers les ESAT avec la bénédiction des MDPH locales.

Lorsque nous songeons aux ESAT, nous devrions avant tout songer aux associations gestionnaires qui détiennent ces établissements. Elles sont censées être au service des personnes handicapées, mais comment peuvent-elles défendre leurs droits quand leur business model dépend de la mise à l’écart des personnes handicapées dans des établissements médico-sociaux ? C’est comme si le MEDEF prétendait défendre les intérêts des salariés ! L’ONU a d’ailleurs récemment rappelé la France à l’ordre sur le sujet, rappelant que le mélange de genre entre associations gestionnaires et organisations de personnes handicapées freinait le processus de désinstitutionnalisation.

Il est grand temps que nous réalisions que les ESAT ne favorisent ni l’autonomie, ni l’inclusion des personnes handicapées dans la société. Et que les personnes handicapées n’ont pas vocation à vivre et travailler recluses entre elles, loin du reste du monde.

C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider !” A la semaine prochaine !

 

 

 

Diffusion mercredi 11 janvier 2023 – 10h20 / 17h05

B.Pradillon


SociétéViens te faire dévalider

Rate it
0%