1ère classe et inégalités Divergence
Il y a une dizaine de jours, soit environ 40 ans en années internet, une dénommée Léonine, avocate de son état, a publié sur Twitter une photo d’un wagon de TGV première classe rempli d’hommes blancs en costume. Le message disait “Un jour (mais pas aujourd’hui parce que j’ai la flemme du shitstorm qui s’en suivra), je mènerai une étude sur la proportion hommes / femmes dans les voitures de 1ere classe du TGV.”nnnCf. https://twitter.com/AvocatavecunE/status/1580062932943400962nnnBien sûr, son message a reçu un flot de commentaires sexistes et condescendants, entre les gens qui se demandent quel intérêt de poster ça, et tous les hommes qui trouvent tout à fait naturel de voir un wagon rempli d’hommes, après tout si les femmes veulent voyager en première classe, elles n’ont qu’à se payer un billet !nnnÇa peut paraître anecdotique mais c’est une question très intéressante. Pourquoi les premières classes sont remplies d’hommes ? D’après les statistiques, seulement un voyageur sur quatre en première classe serait une femme. Ce n’est pas une simple question financière, même si les billets sont généralement plus chers. Si les hommes sont plus nombreux, c’est qu’ils voyagent pour affaires. Il faut donc aller creuser du côté des inégalités professionnelles.nnnD’après les statistiques, les femmes sont plus diplômées, et pourtant elles sont étonnamment moins nombreuses que les hommes à accéder aux postes à responsabilités. Elles n’occupent ainsi que 43 % des emplois de cadres et professions intellectuelles supérieures. Mais ce chiffre cache d’autres disparités conséquentes. D’abord au niveau salarial, cadre ou pas, les femmes gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes. Par ailleurs, plus on progresse vers le haut de la hiérarchie, moins il y a de femmes. C’est ce qu’on appelle couramment “le plafond de verre”.nnnLes dirigeants d’entreprises et décideurs ont toujours d’excellents arguments pour expliquer qu’on trouve si peu de femmes en haut des organigrammes. Ben oui, si y a peu de femmes à haut niveau, c’est juste qu’ils n’ont pas trouvé de femmes assez compétentes pour ces postes. Bien sûr. Moi ça me rappelle cette entreprise, avec à sa tête des hommes, qui avait publié une photo de son équipe sur LinkedIn. Une équipe de 30 à 40 collaborateurs, dont à 90% des femmes blanches, jeunes, normées, valides, et plutôt jolies. Forcément, beaucoup de gens ont réagi à cette photo en pointant un recrutement peut-être un peu “orienté”. Les dirigeants se sont immédiatement offusqués, arguant qu’ils recrutaient des profils, et non des physiques. Quand votre photo d’entreprise ressemble plus au casting d’une série américaine plutôt qu’à la population qu’on pourrait croiser sur le quai du métro, permettez-moi de douter légèrement de vos méthodes de recrutement.nnnAutre argument avancé, les femmes seraient naturellement moins carriéristes, privilégiant l’épanouissement de leur famille. Mais ce n’est pas un phénomène naturel, mais bien une construction genrée ! Dans une société évoluée où l’égalité est soi-disant acquise, où les biberons peuvent remplacer le sein maternel, et où les jeunes pères se montrent bien plus intéressés par les couches sales que la génération précédente, qu’est-ce qui empêche les pères de privilégier leur famille ? Ben rien justement. Enfin si, vu qu’ils sont en général mieux payés, ils ont plus à perdre niveau salaire.nnnLa loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ambitionnait de porter à 25 % le taux de pères qui prennent un congé parental à temps plein. De son côté, la réforme de 2015 poussait également à l’égalité, portant le congé pour un premier enfant de 6 à 12 mois si les deux parents acceptaient de s’y coller. Et pourtant aujourd’hui, moins de 1% des pères s’arrêtent pour s’occuper de leur enfant. Parce qu’ils considèrent, dans le fond, que ce n’est pas leur taff.nnnD’ailleurs, quand il s’agit de réduire ses heures voire d’arrêter de travailler pour s’occuper d’un proche malade, ou d’un enfant handicapé, idem, ce sont encore les femmes qui trinquent. Pas parce qu’elles sont moins attachées à leurs carrières. Mais parce que c’est ce qu’on attend d’elle. Dans les mentalités, les femmes doivent s’occuper des autres. Ce sont elles qui soignent les petits bobos, changent les couches, essuient les nez et corrigent les devoirs. Ce sont elles qui restent au chevet des malades, jonglent entre les rendez-vous médicaux et se lèvent la nuit pour vérifier que tout va bien.nnnEt pire que tout, ces rôles qui nous sont attribués n’ont pas la même valeur selon qu’on respecte ou transgresse les attentes du genre. Les femmes qui s’occupent de leurs enfants à la maison sont souvent mal perçues socialement, considérées au mieux comme passives et inintéressantes, au pire comme oisives. Alors qu’un homme qui fait la même chose sera applaudi. C’est simple, la barre de nos attentes sociales est tellement basse concernant les pères, qu’une simple vidéo d’un père qui coiffe sa fille est sûre de récolter des milliers de vues et commentaires attendries sur les réseaux. Wow quel père incroyable, il sait utiliser un peigne !nnnLes inégalités persistent parce qu’on refuse de les considérer comme telles. Combien de fois ai-je entendu que l’égalité était acquise, pour écraser toute tentative de débat. Oui, dans la loi, nous sommes censés être égaux. Mais les mentalités évoluent à petits pas. Chaque fois qu’on prend un peu trop de place, qu’on parle un peu trop fort, la société se dépêche de nous remettre dans le rang.nnnAinsi, tant qu’on verra des wagons de première classe remplis d’hommes en costume, on aura le droit de s’interroger. Il n’y a pas de « petit combat » lorsque les discriminations viennent se nicher dans les aspects les plus anodins de la vie quotidienne. Et au passage, il faudra aussi s’interroger sur le manque flagrant de personnes à mobilité réduite dans ces mêmes trains. Mais ça, ce sera pour une autre chronique.nnnC’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider !”. A la semaine prochaine !nnnnnDiffusion mercredi 26 octobre 2022 – 10h20 / 17h05nnnB.Pradillon«