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Bonjour et bienvenue dans “Viens te faire dévalider”, la chronique qui décortique les préjugés et l’actualité autour du genre et du handicap.

Le projet de loi “Fin de vie” est de nouveau sur les rails, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Les députés viennent d’adopter en commission un amendement sur le droit à mourir, ou plus précisément le droit à demander une aide à mourir (enthanasie ou suicide assisté). Le texte sera examiné en séance à partir du 12 mai prochain.

Nous nous dirigeons donc vers la possibilité légale de faire mourir des personnes sur décision médicale. Et si le projet, de prime abord, nous semble progressiste et humaniste, il est vraiment essentiel de prendre de la hauteur pour analyser toutes les conséquences possibles d’une telle loi.

Pour commencer, j’aimerais revenir sur la notion de validisme, parce qu’elle nous aide à éclairer les rouages qui sous-tendent notre société. Le validisme est un système d’oppression vécu par les personnes handicapées, du fait de leur non conformité aux normes médicales de la validité.

Autrement dit, nous définissons qu’un corps humain, pour être valide, doit fonctionner, marcher, parler et même raisonner d’une certaine manière. Lorsque la personne en face de nous ne correspond pas à ces normes, elle est catégorisée comme “handicapée”. Ces normes, bien entendu, vont évoluer en fonction des périodes de l’histoire, du pays, des traditions, des lois ou encore des religions. Le handicap est donc avant tout une construction sociale.

Les corps “handicapés” ne sont pas les seuls à subir du validisme ; les personnes âgées, malades, grosses, avec des troubles psy, et même les personnes trans ou intersexes sont évaluées au prisme de ces normes biomédicales qui établissent ce qui est valide ou non.

Mais le validisme, ce n’est pas seulement catégoriser les corps comme “valides” ou “invalides”. C’est établir une hiérarchie parmi les corps. Estimer que la vie des personnes handicapées ou malades a forcément moins de valeur, et donc les percevoir comme un poids pour la société. C’est pourquoi, quand un parent tue son enfant handicapé, les médias et l’opinion publique se placent généralement du côté du parent.

Notre société est validiste car elle entretient un système dans lequel les personnes handicapées sont forcément perdantes. Manque d’accès à l’éducation, aux soins, au logement, au travail, à la vie sociale et affective… Comme le pointe l’ONU, nos politiques restent fondées sur “une vision médicale et paternaliste du handicap”, qui perpétue notamment le placement des personnes handicapées en institution.

Dans ce contexte, où les personnes handicapées sont très souvent perçues comme une charge, maintenues dans la précarité, stigmatisées, discriminées, mises à l’écart de la société, leur offrir “généreusement” une fin de vie digne apparaît d’un cynisme absolu.

Bien sûr, ce projet de loi n’est censé concerner qu’une minorité de personnes, souffrant d’une «affection grave et incurable» qui «engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale» d’après le texte.

Mais quand on ouvre une telle porte, on ne peut pas anticiper ce qui va arriver derrière.

Le journal Le Monde a d’ailleurs récemment publié un article rappelant qu’un cadre strict ne suffit pas à éviter les dérives de l’euthanasie.

Aux Pays-Bas, où l’euthanasie est légale depuis 2002, le nombre de recours a connu une nouvelle hausse de 10% en 2024. Et les euthanasies pour troubles psychiatriques ont progressé de près de 60%, “touchant des personnes parfois très jeunes”. Dans le documentaire “Better of dead”, on apprend qu’au Canada, le dispositif d’aide à mourir a permis à environ 1000 personnes de mourir lors de sa légalisation en 2016. En 2023, sept ans après, plus de 15 000 personnes ont eu recours au dispositif.

Dans tous les pays où une loi similaire a été adoptée, la proportion de morts par euthanasie au sein des décès ne cesse d’augmenter progressivement. Pour reprendre les termes de l’article du Monde : “ L’euthanasie n’est plus exceptionnelle : elle devient, dans bien des cas, une fin de vie parmi d’autres.”

En France, avant même l’examen en séance, des amendements visant à encadrer l’accès à la fin de vie ont d’ores et déjà été rejetés.

L’amendement pour interdire d’appliquer l’euthanasie aux personnes atteintes de déficience intellectuelle ? Rejeté.
L’amendement visant à interdire les conditions d’accès aux personnes incarcérées ? Rejeté.
L’amendement permettant au médecin qui a des doutes sur la libre expression de la volonté de la personne concernée de saisir le Procureur de la République ? Rejeté.

Particulièrement problématique, l’article 17 du projet de loi prévoit un délit d’entrave de l’aide à mourir. C’est à dire que quelqu’un qui souhaite empêcher le suicide assisté d’une tierce personne en proposant des alternatives telles que les soins palliatifs pourrait être punie d’un an de prison et 15 000€ d’amende. De nombreux amendements ont été émis pour supprimer ou réécrire cet article, arguant qu’il se heurte frontalement à la prévention du suicide et à la non-assistance à personne en danger. Ils ont tous été rejetés.

Cette loi n’a rien d’éthique ou d’humaniste. Ouvrir la porte au suicide assisté et à l’euthanasie, c’est banaliser progressivement la mort des personnes vulnérables, handicapées, malades ou âgées.

Les personnes valides pensent déjà bien assez souvent “à sa place, je préférais mourir”. Mais si vous étiez réellement à cette place ? Aimeriez-vous que la société entière considère votre vie comme indigne d’être vécue ? Et votre mort, comme une libération ?

C’était Béatrice, des Dévalideuses pour Divergence FM. A la semaine prochaine !

L’article du Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/07/theo-boer-professeur-d-ethique-neerlandais-j-ai-cru-qu-un-cadre-rigoureux-pouvait-prevenir-les-derives-de-l-euthanasie-je-n-en-suis-plus-si-sur_6592197_3232.html

Le documentaire Better of dead (sous-titré en français) : https://www.youtube.com/watch?v=jmO0jSgYVHk&t=413s

 

Diffusion mercredi 7 mai 2025 – 10h20 / 17h05

 

B.Pradillon


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