Le goût des autres Divergence
La semaine dernière, tout internet était sans dessus dessous après l’incident diplomatique entre Will Smith et Chris Rock aux Oscars. Je sais. Vous en avez marre d’en entendre parler et moi aussi. Mais pourquoi tant d’engouement sur cette histoire ? Franchement, il y a pas plus grave en ce moment ?nnnBen justement. Entre la guerre, la menace nucléaire, l’inflation et la crise climatique, en ce moment on se croirait dans un film catastrophe avec Stallone en tête d’affiche. Alors quand on nous fournit sur un plateau d’argent des sujets capables de distraire nos cerveaux de ces mauvaises nouvelles pendant bien 10 minutes, on serait presque soulagés par cette parenthèse de légèreté.nnnMais surtout, cet incident a le mérite de relancer l’éternelle question : peut-on rire de tout ?nnnQuand on a le privilège de ne pas être la cible des rires, c’est facile de se dire “ben ça va, c’est que de l’humour” ! Mais justement, l’humour et les moqueries participent activement à l’oppression de certains groupes de personnes. Il ne s’agit pas juste d’une histoire de bon goût ou de mauvais goût.nnnTout cela a été très clairement représenté dans la pyramide de l’oppression (je vous laisse chercher sur google) : quand on tolère les partis pris subtils, tels que les blagues, les rumeurs, la diffusion de stéréotypes… on a tendance à mieux accepter les préjugés, tels que la désignation de boucs émissaires ou les insultes. C’est la porte ouverte aux discriminations et au harcèlement. Et lorsque qu’on accepte qu’une certaine population soit harcelée ou discriminée, comme le sont les personnes de couleur ou les personnes trans, on légitime les actes de violences.nnnAlors oui bien sûr, quand Jean-Marie sort une petite blague raciste devant la machine à café, ça ne veut pas dire qu’il appelle au meurtre, mais chaque acte discriminant que nous tolérons collectivement a de lourdes répercussions.nnnPour vous c’est juste une blague. Pour la personne concernée, c’est une micro agression de plus. Et si la personne concernée par la blague a le malheur de ne pas en rire, elle est alors exclue du cercle social, puisqu’il n’y a pas plus grande offense que celle de ne pas savoir rire de soi-même avec les autres.nnnBien sûr, on pense à Desproges et à sa citation, tordue jusqu’à l’extrême. Il doit se retourner dans sa tombe. Car vous remarquerez que les personnes qui citent Desproges essaient généralement de légitimer leur humour raciste, misogyne, homophobe ou validiste. Dans un article de Libé, on apprend ainsi que l’essayiste antisémite Alain Soral a tenté à plusieurs reprises de capitaliser sur le célèbre humouriste, et a reçu en retour des courriers des descendantes de Desproges, qui n’ont pas du tout apprécié.nnnCeux qui en appellent à Desproges comme à un totem d’immunité devrait se rappeler que celui-ci, en plus de détester profondément l’extrême droite et ses valeurs, avait pour lui une plume aiguisée et un personnage construit au fil des années – le héros détestable – qui offraient un cadre et un contexte à son humour, face à un public averti. N’est pas Desproges qui veut !nnnAlors, si on ne peut plus rire des femmes, des personnes handicapées ou LGBT, ou des gens du voyage, mais de quoi va-t-on rire ? Ne peut-on plus rien dire ? Ne serait-pas tout simplement de la censure ? Grâce à cette posture, ceux et celles qui perpétuent ce genre d’humour s’érigent en défenseur de la liberté d’expression, et étalent fièrement leur humour subversif. Sauf qu’il n’y a absolument rien de subversif à perpétuer les mêmes stéréotypes envers les mêmes groupes de personnes, et ce depuis toujours.nnnCe qui serait subversif en revanche, c’est de choisir de rire avec les gens, et pas contre eux. Encore faut-il le vouloir. Les scénaristes de la série américaine Brooklyn Nine Nine eux, ont très bien compris ce principe. Cette série comique, récompensée à plusieurs reprises, est l’exemple même qu’on peut faire rire sans verser dans les biais humoristiques habituels.nnnnPour les insultes, c’est le même principe.nnn“Sociopathe, trisomique, débile mental…” ces termes, régulièrement utilisés comme des insultes, sont avant tout des réalités, des identités. Utiliser ces termes comme des insultes, c’est laisser entendre que ces handicaps ou maladies sont méprisables et avilissantes. Si l’insulte seule peut sembler inoffensive, le mépris qui en découle, maintes fois répété, contribue à stigmatiser durablement les personnes concernées. Idem pour les insultes homophobes, racistes ou sexistes, qu’on entend malheureusement bien trop souvent.nnnAlors comment fait-on pour insulter en toute élégance, sans viser des groupes ou personnes opprimées qui n’ont rien demandé ? Et bien on fait preuve d’un peu d’imagination ! La langue française est une chose magnifique, et de nombreuses insultes plus ou moins désuètes mériteraient d’être remises au goût du jour. Couillon de la lune, chacal, bouffon, crevure, moule à gaufres, tocard, blaireau, raclure de bidet, branquignole… la liste est longue, à vous de l’enrichir !nnSur ces belles paroles, je vous dis à la semaine prochaine ! C’était Béatrice, pour Viens te faire dévalider. nnnnEt n’oubliez pas d’aller voter dimanche.nnnnnnnDiffusion mercredi 6 avril 2022 – 10h20 / 17h15nnnnB.Pradillon«