Manifeste Divergence
Ce week-end, il y a eu des manifestations et événements féministes partout en France, pour commémorer la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et aux minorités de genre.
Selon l’Inter Orga Féminicides, nous décomptons 121 nouveaux féminicides en France depuis le début de l’année 2023. C’est énorme. C’est 121 familles détruites, des proches inconsolables, mais aussi des enfants orphelins de leur mère, ou tués en même temps que celle-ci.
Année après année, rien ne change. Les femmes qui n’appellent pas à l’aide finissent parfois par mourir sous les coups de leur conjoint. Les femmes qui appellent à l’aide ne sont pas crues, pas entendues, et pas protégées. Celles qui quittent leur conjoint violent savent que ont encore plus de risques de mourir, car les hommes violents sont également possessifs. Ils considèrent leur femme comme un bien et ne supportent pas que ce bien leur échappe. Même lorsque la femme violentée réussit à se séparer, à s’enfuir, à se créer une nouvelle vie, l’ex conjoint violent reste une épée de Damoclès au dessus de sa tête, et ce jusqu’à la fin de ses jours.
Alors année après année, on continue d’alerter, de sensibiliser, de manifester.
Ce qui change, c’est qu’année après année, nous sommes de plus en plus nombreuses, et de plus en plus en colère de ne pas être entendues. Et ça fait peur, une foule de femmes en colère.
Alors beaucoup d’hommes se moquent, rient de nos combats, nous insultent, nous intimident, nous bousculent dans les défilés, quand ils ne nous interdisent pas carrément de manifester, comme par exemple à Dijon.
Et ce faisant, ils prouvent que nous avons toutes les raisons de continuer à nous battre.
Des fois j’entends que pour mieux militer, nous devrions être capables d’entendre et de nous confronter aux arguments adverses. Il est vrai qu’en suivant des personnalités et médias avec les mêmes valeurs que moi sur les réseaux, je lis principalement des opinions proches des miennes. C’est le principe du biais de confirmation : comme je privilégie les sources d’information confirmant mes idées, j’accorde moins de poids aux hypothèses et informations opposées à mes conceptions. Et je suis donc moins apte à changer d’avis.
Mais il y a des failles dans ce raisonnement. Pas dans le biais de confirmation, car c’est un biais cognitif répandu, mais dans le fait que nous devrions absolument nous confronter aux idées adverses pour faire évoluer notre opinion.
Déjà, c’est sous-entendre que toutes les opinions se valent. Ben non, c’est pas le cas. Si tu penses que c’est normal que les femmes soient moins bien payées que les hommes, qu’on devrait interdire ou limiter l’IVG, que les féministes sont toutes des frustrées, ou que les agressions sexuelles c’est triste mais qu’on s’habille quand même comme des aguicheuses, non, ton opinion n’a absolument aucune valeur à mes yeux.
Parce que le sexisme, c’est pas quelque chose d’intangible, c’est pas une simple croyance. Le sexisme et tout son cortège d’injustices, je l’ai vécu dans ma chair, depuis le jour de ma naissance, dans la manière dont j’ai été éduquée, dans la manière dont on m’a souvent remise à ma place, dans l’attitude des hommes à mon égard, dans la violence que j’ai subie, dans les agressions sexuelles que j’ai vécues. Le sexisme a tracé des sillons dans lesquels j’ai marché toute ma vie, jusqu’au métier que j’ai choisi d’exercer.
Et je ne suis pas qu’une femme. Je suis aussi une femme handicapée.
Les femmes et minorités de genre handicapées sont davantage vulnérables à toutes les formes de violences. Surtout lorsqu’elles cumulent avec d’autres situations, si elles sont racisées, âgées, lgbtqi+, sans domicile fixe, sans papier, etc. Au moins 80% des femmes handicapées subissent des violences au cours de leur vie. L’observatoire des violences sexistes et sexuelles de Nouvelle-Aquitaine a même récemment avancé le chiffre de 90%. C’est pas une croyance, c’est pas une opinion, c’est un fait.
Au sein du couple par exemple, le handicap peut créer une situation de dépendance physique, psychologique et aussi financière ; plus d’un tiers des femmes handicapées subissent des violences conjugales, contre environ 19% des femmes dites valides.
Idem du côté des violences sexuelles : alors qu’elles sont paradoxalement perçues comme des êtres asexués ou moins désirables, les femmes handicapées sont en moyenne deux à trois fois plus touchées par ces violences, et ce dès le plus jeune âge.
C’est une double peine : elles sont surexposées aux violences sexuelles et sexistes, mais il est encore plus difficile pour elles d’alerter ou de porter plainte : quand elles franchissent le pas, elles sont difficilement crues, elles peuvent se faire féliciter par les personnes à qui elles en parlent, ou ne pas comprendre les limites de ce qu’on peut faire ou pas sur leur corps. Dans le pire des cas, les violences ont lieu dans les environnement contrôlés où elles vivent, institution, service psy, prison, et elles ne peuvent rien dire car l’agresseur fait partie du personnel.
Nous demandons justice pour toutes les femmes et minorités de genre qui subissent ces violences tout au long de leur vie. Et nous continuerons de défiler tant que ces violences continueront de s’exercer dans une quasi impunité.
C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine.
Diffusion mercredi 29 novembre 2023 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon