Faut-il supprimer le Téléthon ? Divergence
Vous ne pourrez pas le louper si vous allumez la télévision, ce week-end c’est le retour du Téléthon, ce grand marathon télévisuel qui a pour objectif de récolter des dons pour financer la recherche pour certains handicaps et maladies génétiques.
Cette émission est organisée par l’association AFM-Téléthon (l’Association Française contre les Myopathies), qui vit essentiellement de la générosité de ses donateurs.
Alors à première vue, on voit mal comment on pourrait oser critiquer une émission qui récolte des dons pour améliorer la vie des personnes handicapées.
Et pourtant ! Chaque année de plus en plus de voix s’élèvent contre le Téléthon. Il faut savoir que si l’émission existe depuis 1987 chez nous, elle est en réalité adaptée d’une émission américaine qui a été lancée en 1966, sous l’impulsion de l’artiste Jerry Lewis. Et si on commence à peine à entendre les contradicteurs en France, aux Etats-Unis ça fait 40 ans que les militants anti-validistes en parlent. Autant dire qu’on a un train de retard sur le sujet.
Alors, que reproche-t-on exactement au Téléthon ?
Comme vous allez voir, les reproches sont multiples.
En premier lieu, les militants anti-validistes critiquent la position du Téléthon, qui prétend que la recherche médicale et scientifique est la seule solution pour améliorer la vie des concernés. Cette position cristallise à elle seule la vision médicale du handicap qui prédomine en France. En gros, les personnes handicapées sont perçues comme des sujets de soin, des corps imparfaits à réparer ou guérir à tout prix, pour les faire entrer dans la norme.
Cette position est problématique car elle occulte toute la dimension sociale et politique du handicap. Elle dépolitise complètement la question. Il n’est jamais question d’environnement ou d’accessibilité, si ce n’est sous la forme de petits reportages sur le quotidien des personnes handicapées, où l’on montre les difficultés rencontrées sans jamais remettre en question le système qui produit ces inégalités. L’expérience collective est complètement occultée au profit de récits individuels larmoyants. Il n’est jamais question de nos droits, de nos luttes, ou de désinstitutionnalisation.
Non, pendant 30h de direct, on va montrer des enfants mignons sur leur fauteuil roulant, en insistant lourdement sur le malheur qui les frappe, sur la souffrance et la douleur. On va aussi montrer des exemples, des sportifs ou artistes handicapés qui cherchent à « dépasser leur handicap”. On va parler de courage, de héros et de leçons de vie. On va aller chercher l’émotion pour mieux ouvrir les porte-monnaies.
Année après année, le Téléthon nous martèle que la guérison est la seule issue souhaitable pour une personne handicapée ou malade, et que nous ne pourrions être heureux ou accomplis en l’état. Nous sommes complètement réduits, enfermés dans cette image de victimes.
Pour reprendre les mots de Lény Marques, porte-parole du Collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE) : “Ce qu’on reproche, c’est de créer en trois jours une image délétère pour le reste de l’année.» La télévision et les médias manquant cruellement de représentations positives du handicap, ou même de représentations tout court, le Téléthon conditionne en grande partie l’image que nous nous faisons du handicap et des personnes handicapées. Et cette vision complètement stéréotypée, réductrice et paternaliste a un impact énorme sur nous, qui luttons au quotidien pour vivre sans avoir à supporter les regards ou remarques compatissantes.
On peut aussi reprocher la sur-médiatisation des enfants handicapés. Ils sont partout au premier plan, sur le plateau télé principal, dans les événements locaux, sur le site internet. Des petites bouilles adorables dont l’image est exploitée à outrance, sans qu’ils aient réellement conscience de ce à quoi ils participent. Ils sont d’ailleurs nombreux, les ex enfants du Téléthon, en France et outre-Atlantique, à regretter amèrement leur participation à ce spectacle misérabiliste une fois adulte.
Par ailleurs, en collectant des fonds pour la recherche médicale, le Téléthon se substitue à l’Etat qui devrait soutenir financièrement ces recherches. Notons d’ailleurs l’hypocrisie des politiques qui saluent chaque année la générosité des français, sans jamais noter le fait que si ce genre de collecte existe, c’est pour pallier aux manquements de l’Etat en la matière. Ce que nous réclamons depuis longtemps, c’est une vraie politique ambitieuse du handicap. L’argent ne doit pas aller que vers la recherche, mais aussi vers la compensation de nos handicaps, les moyens d’autonomisation et l’accessibilité de notre environnement, pour nous permettre de grandir et vivre pleinement au sein de la société.
D’autant que ces collectes s’inscrivent dans la grande tradition de la charité chrétienne, charité qui place encore une fois les personnes handicapées dans le rôle de victimes passives. Pour reprendre l’un de nos slogans de manif, “remballe ta charité, nous on veut des droits !”
Alors, histoire de ne pas noircir complètement le tableau, il est vrai que le Téléthon a changé des vies, lors de son arrivée à la fin des années 80. Charlotte Puiseux, dans son livre “De chair et de fer”, se souvient que l’émission a représenté “une véritable lueur d’espoir” aux yeux des parents d’enfants atteints de maladies génétiques rares, auxquels les médecins de l’époque ne donnaient parfois que quelques années à vivre. Mais aujourd’hui, les enfants du Téléthon ont grandi. Et ils n’ont plus envie de participer à ce spectacle.
C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine.
Diffusion mercredi 30 novembre 2022 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon