Born in the USA (Springsteen, 1984) Divergence
Coup de caisse claire, mélodie simple mais néanmoins efficace au synthétiseur, un refrain en quatre mots, facile à scander. Born in the USA a tous les atouts du tube. Le rythme entraînant nous dispense de porter trop d’attention aux paroles. A l’entendre dans sa voiture, on gueulerait d’être né aux USA, comme Nouvel articleSpringsteen, sans trop savoir ce qu’il en dit. De fait, cet habillage dessert une chanson pourtant bien engagé.n
En effet, on pourrait croire ici à un hymne patriotique criant la fierté d’être né aux États-Unis. Ce serait mal connaître le Boss qui revient ici sur une des grandes blessures de la société américaine, la guerre du Viet Nam :n
« Un peu dans l’pétrin après une baston dans ma ville, ils m’ont mis un fusil entre les mains et m’ont envoyé dans un pays lointain pour aller tuer l’homme jaune. De retour chez moi, à la raffinerie, le chef du personnel me dit : Fils, si ça ne dépendait que de moi…. A l’ombre du pénitencier, ça fait dix ans que je m’use sur la route, nulle part où s’enfuir, nulle part où aller. Je suis né aux USA. »n
Par cette histoire, Springsteen évoque les difficultés des anciens combattants du Viet Nam à se réinsérer dans la société. Il dénonce ainsi cette double peine qu’ils subissent et l’ingratitude du gouvernement envers une jeunesse sacrifiée à la guerre et abandonnée à son retour. n
La chanson fut d’abord enregistrée en 1981 avant d’être publiée sur l’album éponyme en 1984. Les Américains ont alors quitté le Viet Nam depuis une dizaine d’années. Curieusement, à la même période, en 1982, sort le film Rambo I avec Sylvester Stallone. Derrière l’aspect « nanar » du film de combat, ce dernier dénonce en réalité la façon dont sont traités les vétérans. John Rambo, de retour de la guerre, vagabonde à travers le pays depuis une dizaine d’années. Il se rend dans la petite ville de Washington retrouver un vieil ami, finalement décédé d’un cancer dû à l’agent orange. Le shériff estimant la présence de Rambo dérangeante lui fait bien comprendre qu’il n’est pas le bienvenu et lui intime l’ordre de partir. L’ancien soldat n’obéit pas et, dans un délire traumatique, s’isole dans une ville en état de siège. Au final, le héros militaire finira incarcéré dans une prison de haute-sécurité. n
A leur manière, Born in the USA et Rambo, derrière une façade divertissante, dénoncent de façon assez brutale l’incapacité des Etats-Unis à prendre en charge les anciens soldats du Viet Nam. Malheureusement, l’histoire ne manque pas d’ironie. En effet, peu après la sortie de la chanson, Ronald Reagan et le parti républicain l’utilisent pour la campagne présidentielle sans le consentement de son auteur. Ce dernier, opposant à Reagan, en fut passablement contrarié et le morceau souffrit ainsi de cette utilisation politique. n
Une version totalement différente du morceau est parue en décembre 2018 sur l’album Springsteen on Broadway. Le Boss en donne une interprétation épurée, éraillée, éreintée. La guitare slide est stridente, amère. Le rythme est différent. Chantée en partie a cappella. Il y a un air de vieille protest song, de vieux blues asséché. C’est tout l’essence de la chanson qui s’en retrouve révélée. Une sorte de renaissance, donc, pour Born in the USA.nnnnDiffusion mardi 15 janvier 2019 – 10h40 / 17h40nnnC.Pereirann »