Asimbonanga (Johnny Clegg, 1987) Divergence
Le « zoulou blanc » est mort ce 16 juillet 2019 et c’est une tristesse. Je vous l’avoue tout de suite : musicalement, ce n’est pas trop mon style. Ce n’est pas tant le mélange entre musiques africaines et occidentales qui dérangent mon oreille, bien au contraire ! C’est plutôt la production de l’époque, pleine de réverb et de synthétiseurs qui me perturbe… Et malgré cela, je trouve l’œuvre de Johnny Clegg incroyable, émouvante et débordante d’énergie !nS’il est né en Angleterre, Johnny Clegg grandit en Afrique du Sud, à Johannesbourg plus particulièrement. Ce n’est un secret pour personne que le pays connaît l’apartheid. En effet, la minorité blanche domine la majorité noire dont les droits sont limités et dont les contestataires sont persécutés. C’est dans ce contexte que l’adolescent, en désaccord avec sa famille, commence à traîner das les rues et à apprendre la musique zoulou avec un musicien de son quartier. Rapidement, la rencontre avec le guitariste Sipho Mchunu est au fondement d’un engagement artistique et politique pour la multiculturalité et contre l’apartheid. Très tôt ils jouent avec les travailleurs migrants, participant ainsi au mouvement de contestation alors que l’association d’un musicien blanc avec un musicien noir est particulièrement mal vue dans le pays.n En 1987, Jonnhy Clegg et son groupe Savuka sortent l’album Third World Child contenant le morceau à succès Asimbonanga. Résolument engagée, cette chanson fait référence au militant anti-appatheid Nelson Mandela, prisonnier sur l’île de Robben Island depuis 1964, soit 23 années d’incarcération. La chanson à la particularité d’être chantée à la fois en zoulou pour le refrain et en anglais pour le couplet ce qui, en soit, est déjà un acte provocateur dans l’Afrique du Sud des années 80. Le titre, quant à lui fait directement référence à Mandela. Asimbonanga signifie « nous ne l’avons pas vu » et rappelle que presque personne ne savait à quoi ressemblait Nelson Mendela puisque les photos de lui étaient illégales. On retrouve également le nom des militants Steve Biko, Victoria Mxenge et Neil Aggett, tous trois morts emprisonnés. L’album se vend à plus de deux millions d’exemplaires et Asimbonanga est un succès planétaire contribuant certainement, à sa façon, à une prise de conscience internationale de l’apartheid en Afrique du Sud ainsi qu’à la libération de Nelson Mandela.n D’une part, l’engagement artistique et politique du chanteur montre l’abolition de la distance entre blanc et noir par une multiculturalité non pas voulue mais essentielle, voire nécessaire. Il ne pouvait pas faire autrement tant il était imbibé de la culture zoulou. On peut à ce titre revoir l’excellent documentaire consacré à Clegg par Arte au moment de sa mort. On y voit l’artiste jeune, débordant d’une énergie incroyable, exécuter des danses traditionnelles dans un état presque transcendantal. De ce fait, il abolit les distances et les hiérarchies établies par l’apartheid entre les cultures pour voyager au milieu d’elles dans un pur état d’égalité. A ce titre, le surnom de zoulou blanc n’est absolument pas volé !n D’autre part, Clegg, citant dans sa chanson Neil Aggett, mort à 28 ans torturé par la police, montre que, s’ils ne sont pas majoritaires, certains blancs ont lutté pour l’émancipation du peuple noir en Afrique du Sud, luttant lui aussi, à sa manière, contre toute tentative de réécriture de l’histoire. C’est la force aussi de son combat, c’est ce qui lui donne son énergie. Son parcours, ses chansons, sa musique illustrent une idée essentielle, celle que la lutte pour la liberté dépasse les cultures et les couleurs. Il rappelle qu’on ne peut pas être tout à fait libre tant qu’une seule minorité de personnes dans le monde connaît l’asservissement et l’exploitation. En 1987, ils chantaient Asimbonanga, « nous n’avons pas vu notre frère, nous n’avons pas vu notre sœur ». En 1990, Nelson Mandela est libéré et l’apartheid est aboli en 1991. Johnny Clegg, le zoulou blanc, repose à Johannesbourg, sur sa terre, parmi ses sœurs et ses frères.nnDiffusion mardi 15 octobre 2019 – 10h40 / 17h40nnC.Pereirann »