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L’art du renoncement

today25/06/2025 3

Arrière-plan
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Bonjour et bienvenue dans le dernier épisode de “Viens te faire dévalider”.

 

Il est temps de vous dire au revoir. De rendre le micro, après trois années, quatre saisons, et quatre-vingt chroniques enregistrées.

Pendant ces trois années, j’ai écrit sur des sujets parfois légers, mais le plus souvent difficiles : violences sexuelles, discriminations, harcèlement, injustices, féminicides, suicide assisté… Et pourtant, c’est cette dernière chronique qui me donne le plus de fil à retordre.

C’est un exercice difficile de rendre le micro qu’on nous a tendu, de s’arrêter, de renoncer à un projet qui nous tient autant à cœur.

Si vous m’écoutez, vous me connaissez en tant que chroniqueuse radio ; je participe à la vie associative de Divergence FM en tant que bénévole. Au fil de mes chroniques, vous avez compris que je suis également co-fondatrice de l’association handi-féministe Les Dévalideuses, et trésorière de l’association Dear Valid People. J’exerce donc diverses missions bénévoles allant du bilan financier à la coordination d’un prix littéraire jeunesse.

Mais ce que vous ignorez peut-être, c’est que je suis également facilitatrice de la Fresque du sexisme, j’anime donc depuis quelques mois des ateliers en présentiel ou en ligne. Et le reste du temps, j’exerce mon activité de consultante formatrice en inclusion et diversité. Et comme beaucoup d’autres entrepreneuses, je m’investie également dans différents réseaux professionnels. Je suis aussi maman d’un petit garçon.

Je ne me suis jamais considérée comme une personne carriériste. Quand j’ai décroché mon diplôme, je voulais juste exercer un métier qui me plaise. Je n’imaginais pas qu’un jour je me noierais au milieu de mes notifications : WhatsApp, Signal, Discord, mails, relances, urgences, to-do-list, agenda, mon téléphone clignote autant qu’un sapin de Noël. Et je ne me plains pas : j’aime cette effervescence. J’aime les rencontres, les projets, cette énergie collective qui circule.

Mais parfois, trop c’est trop. Trop de projets. Trop d’attentes Je me suis moi-même imposée un rythme infernal. C’est une course perpétuelle, une fuite en avant qui ne s’arrête jamais. Et un jour, ça commence à se fissurer doucement.

Quand j’ai commencé cette chronique, j’étais en arrêt maladie. J’étais au plus bas psychologiquement et je venais d’entamer une thérapie. Et s’il y a une chose que j’ai retenue de cette période difficile, c’est l’importance d’arriver à repérer les signaux d’alerte. Les drapeaux rouges qui s’agitent quand on tire trop sur la corde.

Nous sommes nombreuses et nombreux, dans le milieu militant, à nous imposer une pression immense. À enchaîner les visios, les réunions tardives, les sollicitations et interviews de dernière minute. À dire oui à tout, même lorsqu’on ne devrait pas. À rester disponibles, même quand nos propres douleurs sont ravivées par les combats qu’on mène.

Militer, c’est s’exposer. Aux inégalités, aux discriminations et aux violences – pas seulement de loin, mais en pleine face. Notre engagement nous place au cœur du débat public, parfois au cœur du conflit. Il faut être capable de se remettre en question en permanence, tout en faisant face aux commentaires, aux critiques parfois violentes, aux polémiques et aux harcèlements.

C’est pourquoi le concept de care militant est si important. C’est un besoin vital de se préserver dans un monde où la violence est systémique. Mais le care militant, ce n’est pas juste une pause bien-être, genre je me m’accorde un petit bain avec un thé glacé et une bougie senteur lavande.

C’est un acte politique. Refuser de s’épuiser à la tâche, ce n’est pas de la paresse ou de la faiblesse, c’est un refus de la logique productiviste et sacrificielle. Celle qui nous pousse à nous rendre malades au nom de causes justes. Celle qui attend de nous qu’on donne tout, jusqu’à s’effondrer. Il en est de même dans la sphère entrepreneuriale. Si t’as pas fais ton premier burn out avant 30 ans, t’as raté ta carrière.

Oser prendre réellement soin de soi, en faisant une pause, en posant des limites, en se retirant de certains projets, voire en retirant complètement son épingle du jeu, ce n’est pas trahir la cause. C’est reconnaître que l’auto-destruction n’a jamais été une stratégie gagnante sur le long terme.

Le care militant, c’est aussi une façon de repolitiser la vulnérabilité. Je suis une militante. Mais je suis aussi une personne. Avec un corps, une santé mentale, une vie sociale, sentimentale et familiale que je mets à rude épreuve. Mon humanité ne doit pas se dissoudre dans la lutte.

Le renoncement, c’est une manière de dire non à la performance constante, à l’héroïsme toxique et à la culture du burn out. Je continuerai toujours à lutter contre les discriminations et inégalités, aussi bien bénévolement que professionnellement. C’est ma boussole. Mais pas à n’importe quel prix.

Je vous souhaite, à vous aussi, d’exercer l’art du renoncement. De poser vos limites sans culpabilité. Parce que prendre soin de soi – surtout quand le monde autour semble vaciller sous les crises, les violences et les reculs de droits – c’est déjà résister.

Je remercie du fond du cœur l’équipe de Divergence – et particulièrement Bruno – qui m’a accueillie, accompagnée et soutenue avec une réelle bienveillance depuis 2022.

C’était Béatrice, des Dévalideuses, pour Divergence FM. Merci de m’avoir écoutée, et surtout, merci d’avoir été là.

Diffusion mercredi 25 juin 2025 – 10h20 / 17h05

B.Pradillon


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