Bonjour et bienvenue dans “Viens te faire dévalider”, la chronique qui décortique les préjugés et l’actualité autour du genre et du handicap.
Quand j’étais étudiante à Avignon, un matin, j’ai découvert un message peint en lettres capitales sur les murs en face de ma fac : “La résignation est un suicide quotidien. Disons non aux matins bruns.” Ce message anonyme a résonné très fort en moi, et la première phrase est même devenue une sorte de mantra personnel. Pourtant, c’est la seconde qui en révèle tout le sens.
Les “matins bruns” font référence au fascisme. Le brun symbolise les Chemises brunes, les paramilitaires nazis. “Matin brun” est aussi le titre d’une nouvelle de Franck Pavloff, parue en 1998, qui alerte sur les dangers du fascisme.
Ce lundi 20 janvier, durant la cérémonie d’investiture de Donald Trump, un Elon Musk euphorique est monté sur scène, et a fait deux saluts nazis. La séquence a fait le tour du monde en quelques minutes.
L’une des plus grandes puissances mondiales est désormais aux mains d’un gouvernement fasciste. Elon Musk, bras droit de Trump, a été nommé à la tête du “Département de l’efficacité gouvernementale” – un titre qui devrait déjà nous alerter. Son réseau social est devenu un outil de propagande politique.
Ces saluts nazis étaient le clou d’une cérémonie d’investiture parfaitement scénarisée. Trump, assis à un petit bureau décoré du sceau présidentiel, a signé en direct une série de décrets, avant de jeter des stylos à la foule.
Sans surprise, ces mesures marquent un retour en arrière nationaliste et climato sceptique : retrait des États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé, sortie des accords de Paris sur le climat, promesse de forages massifs pour répondre à la crise énergétique, répression accrue contre l’immigration mexicaine. Les droits des personnes trans sont également visés : Trump ne reconnaît que deux genres et compte s’attaquer aux transitions de genre.
Je suis profondément glacée de voir l’une des plus grandes puissances mondiales plonger à ce point dans l’obscurantisme, alors que de nombreux autres pays basculent déjà vers des régimes d’extrême-droite.
C’est comme voir un carambolage au ralenti. Les premières voitures se sont écrasées, mais les suivantes continuent d’accélérer. Les dégâts sont immenses.
Le fascisme, avant même de prendre le pouvoir, se répand insidieusement, contaminant tout ce qu’il touche.
En 1995, l’écrivain Umberto Eco a décrit son expérience du fascisme italien et proposé une grille pour identifier les signes d’un régime totalitaire. Si le fascisme moderne prend de nouvelles formes, son analyse reste d’actualité.
Par exemple, il explique que le pouvoir fasciste est un pouvoir misogyne, qui cherche à dominer et contrôler le corps des femmes. Je n’ai pas besoin de rappeler que le recours à l’avortement est désormais illégal dans une partie des Etats, parfois même en cas de viol ou d’inceste. Cela fait également écho aux récents propos tenus par le patron de Méta, sur l’émasculation de la culture d’entreprise : « Il y a quelque chose de bon dans la masculinité, et une culture qui valorise l’agressivité a du mérite ». Des propos qui annoncent un retour en arrière en termes de diversité et inclusion dans les entreprises, déjà amorcé par quelques grandes compagnies.
L’un des autres aspects du fascisme est la Novlangue, inventée par Orwell dans le livre 1984. Elle se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter la pensée critique.
Prenez le terme “fasciste” initialement réservé aux idéologies misogynes, nationalistes et racistes. Ces dernières années, des personnalités politiques, à commencer par Trump, ont utilisé ce terme pour qualifier les anti fascistes, donc les personnes luttant contre ces idéologies.
De même avec l’expression “woke”, autrefois utilisée pour exprimer la conscience des problématiques de justice sociale et d’égalité raciale. C’est devenu un épouvantail médiatique, régulièrement agité pour mettre en garde la population contre un danger dont on peine à comprendre les contours.
On tord le sens des mots jusqu’à les rendre creux.
D’ailleurs, l’emploi du mot “fasciste” lui-même suscite la controverse. On critique les alarmistes qui le brandissent en étendard. Même après deux saluts nazis face aux caméras, certains médias osent parler de “geste maladroit”. Le danger n’est pas dans le mot “fasciste”, il est dans ceux et celles qui refusent de voir la réalité. Le fascisme est en face de nous, dangereusement proche.
En France, tous les voyants sont au rouge. Cela fait des années que nous laissons l’extrême-droite dicter l’agenda politique, que leurs idées gagnent du terrain dans les médias et dans la rue.
Cessons de commenter la situation outre Atlantique comme si nous n’étions pas directement concernés. Notre position anti fasciste ne doit souffrir d’aucune concession. Disons non aux matins bruns.
C’était Béatrice, des Dévalideuses pour Divergence FM. A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 22 janvier 2025 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon