Validisme électoral Divergence
Bonjour et bienvenue dans “Viens te faire dévalider”, la chronique qui décortique les préjugés et l’actualité autour du genre et du handicap.
La campagne présidentielle américaine touche à sa fin. D’un côté Donald Trump, qui mène sa troisième campagne, soutenu par le milliardaire Elon Musk, et de l’autre Kamala Harris, actuelle vice-présidente des Etats-Unis.
Tentative d’assassinat, usage massif de l’intelligence artificielle et des fake news, influence financière, propos outranciers, cette campagne présidentielle est l’une des plus féroces depuis l’assassinat de Kennedy, comme l’a récemment souligné le média Blast.
Mais parmi toutes les informations qui fusent depuis des mois, une en particulier a retenu mon attention. Le 13 octobre dernier, sur la chaîne américaine Fox News, Trump a évoqué des “ennemis de l’intérieur”, composés selon lui de “gens malades” et de “fous de la gauche radicale”. Il n’exclut pas de faire appel à la Garde nationale et à l’armée pour réguler et enfermer ces voix dissidentes s’il venait à être élu.
“Malade” et “fou” : ces éléments de langage m’ont forcément interpellée.
Il y a d’abord un cynisme évident dans ces déclarations. S’étant lui-même érigé en chantre de la liberté d’expression, Trump ne peut pas décemment s’attaquer au premier amendement auquel le peuple américain est particulièrement attaché. De fait, il contourne le problème en usant d’un vocabulaire médical pour essayer de pathologiser et discréditer les idées de ses opposants.
C’est un procédé extrêmement courant en politique. D’ailleurs, le même vocabulaire a souvent été utilisé contre Trump, par ses adversaires mais aussi sa propre famille. Son neveu l’a qualifié de “complètement fou” et sa nièce a écrit un livre où elle le décrit comme un menteur pathologique. Joe Biden a également fait les frais de critiques âgistes. Des extraits vidéo où on voit l’ex candidat avec le regard dans le vide ou une attitude hésitante ont massivement circulé sur les réseaux, participant à brosser le portrait d’un homme proche de la sénilité, qui serait donc incapable de gouverner. Cela a grandement contribué à disqualifier sa candidature. Dans son discours de retrait, il a expliqué vouloir laisser la place à “des voix fraîches, des voix plus jeunes”, et a évoqué le fait de “passer le flambeau à une nouvelle génération”.
Comme le note la journaliste Salomé Saqué : “Il semblerait qu’une élection ne se gagne plus vraiment sur du rationnel, sur des idées, un programme, mais plutôt sur une communication bien rodée, des symboles, des images qui circulent plus vite que jamais”.
L’argumentaire de Trump sur Fox News est bien entendu validiste et psychophobe : il joue sur le stéréotype suivant lequel les personnes avec des handicaps mentaux ou psychiatriques seraient forcément inaptes à prendre des décisions, à vivre en société, et seraient même dangereuses. Un stéréotype qu’on retrouve notamment dans de nombreuses œuvres de fiction : Vol au-dessus d’un nid de coucou, Shining, Fight Club, American Psycho, ou encore le Joker. Les troubles psy y sont associés à des manifestations de violence soudaines et généralement sanguinaires. En France, la sphère politique et médiatique contribue également à perpétuer l’idée que ces personnes seraient davantage susceptibles de se radicaliser ou de basculer dans le terrorisme. Un fait dénoncé par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU.
Pourtant, d’après le rapport de la Haute Autorité de Santé sur la dangerosité psychiatrique, il existe une « surestimation manifeste du risque de comportement violent chez les personnes souffrant de troubles mentaux. ». Seulement 3 à 5 % des actes violents seraient dus à des personnes souffrant de tels troubles. Et ces personnes sont plus souvent victimes qu’agresseurs. Quand elles ne sont pas victimes de violences et maltraitances de la part de leur entourage, elles ont tendance à se maltraiter elles-mêmes.
Mais Trump ne se contente pas de jouer sur des stéréotypes ou préjugés aussi faux que stigmatisants. Il insinue qu’il pourrait se servir de ces maladies ou handicaps supposés pour faire intervenir les forces armées. Le handicap devient donc un prétexte pour justifier la violence à l’égard de groupes entiers. Cela ne vous rappelle rien ?
L’homosexualité et les transidentités ont longtemps été considérés comme relevant de troubles psychiatriques, et cela a servi de justification aux nombreuses violences et discriminations à l’égard de ces personnes au cours de l’histoire, jusque dans les camps de concentration. Mais ce ne sont pas les seules personnes à avoir été considérées comme “handicapées “ car elles ne correspondaient pas aux normes établies : durant l’époque coloniale, des peuples entiers ont été considérés comme “immatures”, accusés d’infériorité physique et mentale, pour justifier la domination coloniale, comme en témoigne la chercheuse Ellen Samuels. Et tout ceci laisse bien entendu énormément de séquelles, encore aujourd’hui.
Les mots que nous employons sont chargés d’un sens politique très fort. Ils véhiculent des idées et des valeurs qui peuvent influencer notre vision des personnes et des groupes. Lorsqu’ils sont utilisés de manière stigmatisante, ils peuvent légitimer les inégalités et discriminations, et renforcer les rapports de domination. Il serait essentiel de s’en rappeler.
C’était Béatrice, du collectif Les Dévalideuses pour Divergence FM.
A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 30 octobre 2024 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon