Et si on pratiquait tous la LSF ? Divergence
Samedi dernier, le couronnement de Charles III a fait la une des médias. Mais sur les réseaux, c’est d’autres membres de la famille royale qui ont cartonné. En effet, une vidéo devenue rapidement virale sur TikTok montre le Prince Williams et sa femme la princesse Catherine s’exprimer en langue des signes lors d’événements officiels. A la fin de la vidéo, des images d’archives montrent que la princesse Diana maîtrisait elle aussi plutôt bien la langue des signes ! J’ai ainsi appris qu’en 1983, la princesse de Galles a accepté d’être la marraine royale de l’Association britannique des sourds. Mais elle ne s’est pas contentée de sourire sur les photos ! Ha non, elle a décidé d’apprendre la langue des signes britannique, ce qui lui a valu le respect et l’admiration de la communauté sourde.
Mais cette anecdote royale devrait nous faire toucher du doigt une réalité bien moins sympathique. Ce qui rend ces scènes exceptionnelles, c’est qu’il existe très peu de personnes non sourdes capables de s’exprimer en langue des signes.
En fait, pour les personnes valides, l’apprentissage de la langue des signes est vue comme une compétence non nécessaire voire complètement inutile. Quelque chose qu’on apprend seulement en cas de nécessité, si on a une personne sourde dans sa famille par exemple. Et encore ! D’ailleurs il existe peu d’endroits où apprendre. En France, c’est une option dans certains lycées, mais sinon, il faut trouver soi-même un enseignement. Les cours de LSF sont malheureusement rares et souvent coûteux.
Selon la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, environ 4 millions de personnes vivent avec un déficit auditif, soit 6,6 % de la population. Parmi elles, près de 500 000 personnes vivent avec une déficience auditive profonde ou sévère et environ 100 000 pratiquent la langue des signes.
Pour ces personnes, la langue des signes est donc le principal moyen de communication au quotidien. Et le fait que le reste de la population ignore tout de cette langue représente un obstacle majeur à l’inclusion. Comment se faire comprendre quand on va faire ses courses, quand on va se faire soigner, ou quand on veut pratiquer des activités artistiques ou sportives avec des personnes non sourdes ? Ou pire, pour trouver un emploi ? Imaginez vivre dans un monde où tout le monde parle une langue étrangère que vous ne maîtrisez pas. Comment s’intégrer dans ces conditions ? Certes, il y a la communication écrite. Mais vous n’auriez pas envie de fréquenter des gens qui vous ressemblent et parlent la même langue ?
Pour lutter contre l’isolement, les personnes sourdes ont donc créé leur propre communauté. Une communauté avec sa propre langue, sa culture, ses codes, ses références et ses figures. On parle d’ailleurs de “culture sourde”. Et ça ne date pas d’hier ! On retrouve des traces de la communauté des sourds au milieu du Moyen-Age.
Si vous cherchez “pétition langue des signes” sur un moteur de recherche, vous verrez que plusieurs pétitions circulent en ce moment sur le sujet, pour inciter l’Éducation Nationale à intégrer la langue des signes française dans son programme dès l’école primaire, ou encore pour permettre aux familles d’enfants sourds de pouvoir apprendre la LSF plus facilement.
Il faut savoir que 90% des enfants sourds naissent dans une famille entendante. Et notre société est tellement persuadée que le fait d’entendre sera le meilleur moyen pour eux de communiquer avec les autres, que nous leur imposons le port d’implants cochléaires et forçons l’oralisation au détriment de l’apprentissage de la LSF. Mais les implants ne sont pas un remède miracle à la surdité ! Ils nécessitent une intervention lourde et coûteuse, puis un suivi de plusieurs années, et un apprentissage auprès d’un orthophoniste. Et les sons perçus ne sont plus naturels. Ce n’est pas seulement désagréable mais aussi fatiguant. J’en sais quelque chose : même si mes petits appareils auditifs sont bien moins invasifs que les implants, ils partagent certains inconvénients : l’aspect métallique des voix, les sons aigus ou déformés, les larsens quand il y a du vent, les grésillements dès que je repose ma tête sur un coussin…
Les implants n’ont donc pas forcément bonne presse auprès de la communauté sourde. D’ailleurs, le rapport du comité de l’ONU publié en 2021 recommande à la France de “mettre en place des mécanismes permettant de garantir que les enfants handicapés ne soient pas forcés de porter des implants cochléaires, aient la possibilité d’apprendre la langue des signes et d’accéder à la culture des sourds et soient informés des effets des implants cochléaires sur leur vie.”
Alors qu’est-ce qu’on peut faire pour arrêter d’exclure les personnes sourdes ? On peut commencer par aller signer absolument toutes les pétitions en ligne sur le sujet ; peut-être que l’une d’elle arrivera à bon port pour débuter une réflexion à plus haut niveau. Il faut aussi en parler autour de soi, pour contribuer à sensibiliser un maximum de personnes. Et puis on peut chercher à apprendre les bases. Apprendre à dire bonjour, au revoir, merci, indiquer une direction, épeler son prénom. Et briser ainsi doucement ce mur qui nous sépare de ceux qui n’entendent pas. Par ailleurs, la langue des signes française est une langue unique, magnifique et plus intuitive qu’il n’y paraît. Elle nous apprend à communiquer en trois dimensions, à coordonner nos mains et nos expressions faciales. En plus de pouvoir communiquer avec les personnes sourdes et malentendantes, elle nous permet par exemple de communiquer sous l’eau, dans les environnements très bruyants ou à l’inverse dans les environnements silencieux comme les cinémas ou les bibliothèques !
Petit point lexical : on dit bien langue des signes, et non langage ! Un langage est un système structuré de signes non verbaux remplissant une fonction de communication. C’est quelque chose de basique et rudimentaire, comme les animaux peuvent utiliser par exemple. Tandis qu’une langue possède sa propre grammaire et sa propre syntaxe. Il n’existe d’ailleurs pas une seule langue des signes, mais plus de 170 d’après la liste établie par Wikipédia. Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas non plus de langue des signes internationale, mais des signes communs sont utilisés dans certains contextes, notamment politique.
Voilà, vous savez tout. Maintenant, à vous de jouer !
C’était Béatrice, pour “Viens te faire dévalider”. A la semaine prochaine !
Diffusion mercredi 10 mai 2023 – 10h20 / 17h05
B.Pradillon