La Chanson de Craonne (Marc Ogeret, 1973) Divergence
Le 14 avril 2017, le président François Hollande commémorait le centenaire du Chemin des Dames. C’est un beau nom, Chemin des Dames, qui vient des Dames de France Victoire et Adélaïde, filles de Louis XV. L’endroit se situe dans l’Aisne, entre Laon, Soissons et Reims et fut le théâtre sanglant de la bataille qui porte le même nom, l’offensive Nivelle. Que la beauté nous paraît morbide, à l’évocation d’un Chemin des Dames marqué par la mort, le sang, l’absurdité de la guerre !n La bataille commence le 16 avril 1917 et se termine le 24 octobre de la même année avec la victoire allemande sur les troupes françaises. Les soldats sont massivement mobilisés : 850 000 hommes du coté français, 682 350 du coté allemand. Le nombre de victimes est à la hauteur de cette démesure, c’est effrayant : 187 000 morts ou blessés français, 163 000 allemands. Environ 350 000 en 6 mois. 58 334 par mois. C’est environ une personne toutes les trente secondes, six mois durant. Et qu’importe qu’ils soient Français ou Allemands. Il y avait aussi des Russes, des Danois, des Portugais, sans oublier les troupes coloniales, tirailleurs sénégalais, zouaves, morts pour la France à la mémoire trop fragile.n C’est une vraie boucherie et le terme est faible. Comme toute la guerre. Comme toutes les guerres ! Mais l’humanité se dresse parfois en sursaut, elle éclabousse l’horreur, par les paroles partagées, une partie de cartes, une lettre reçue, une lettre écrite, des chansons et le cri désespéré et digne de ceux qui disent NON, les fameux mutins de 1917. Face à l’entêtement de l’état-major et au carnage, aggravé par la défaite du Chemin des Dames, les actes de mutinerie augmentent : en 1917, 3427 condamnations, dont 554 à mort et 57 effectives : les fameux « fusillés pour l’exemple », sous les ordres de Pétain. De toute façon, fusillés ou sur le plateau, il n’y a plus rien à perdre… Ces actes d’insoumission, individuels et collectifs, se retrouvent également à travers les chansons, comme la Chanson de Craonne, village du Chemin des Dames complètement détruit lors de l’offensive Nivelle.n On ne connaît pas l’auteur de la chanson, qui s’est diffusée oralement à travers les tranchées, évoluant sous plusieurs titres et variantes. La mélodie s’inspire d’une chanson d’amour, « Bonsoir m’amour », datant de 1911. Les paroles sont profondément antimilitaristes, aux teintes anticapitalistes et dérange le pouvoir et l’État puisqu’elle sera interdite d’antenne jusqu’en 1974. D’autant plus que le Chemin des Dames est une défaite qu’on se refuse, par conséquent, de commémorer. En 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, évoquait déjà le sort des fusillés. Enfin, ce 14 avril 2017, cette bataille sanglante est objet de recueillement par le président François Hollande afin d’intégrer, comme il se doit, notre mémoire collective. Ce n’est pas sans polémique, pourtant. Alors que le morceau est joué devant des officiers militaires, certains s’offusquent et s’en indignent. Quel affront à la mémoire de ces combattants ! Enfin, on ne devient pas gradé militaire en débordant d’humanité, après tout… Quant à La Chanson de Craonne, elle a été interprétée par une chorale, rappelant ainsi la façon dont elle fut chantée dans les tranchées, par nos pov’ soldats, cent ans plus tôt.nnAnimateur : Christopher PeirerannDiffusion : Vendredi 21 avril – 18h15n